Traces et trajets
Par Kozlika le dimanche 10 août 2008, 09:06 - Lien permanent
(Merci à Gilda à laquelle j'emprunte le titre de son blog pour titre de ce billet.)
Un jour nous irons à Vilnius, mes enfants et moi. Nous avons prévu de le faire, un jour ou l'autre.
La ville où mon père est né. Où je crois qu'il est né. Où une partie des informations que j'ai disent qu'il est né. Il n'y a (aurait) vécu que très peu de temps, ses parents étant arrivés très peu après sa naissance à Paris. Nous y chercherons des traces de son histoire familiale, des pogroms qui ont fait fuir ses parents. Peut-être n'y trouverons-nous rien. Quantité de registres ont été détruits ou ont disparu dans des incendies. Je m'attends à n'y rien trouver, comme tant d'autres enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants s'y sont cassé les dents au cours de leurs recherches généalogiques. Enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants dûment estampillés par l'état civil. Recherches légitimes d'enfants légitimes butant sur l'histoire collective.
Un jour, souvent, de temps en temps, je suis allée dans le Marais.
A chaque fois je m'y perds, moi qui ne me perds jamais en ville, encore moins dans la mienne. Je ne mémorise pas l'emplacement des rues. Je ne sais jamais si Marianne et ses falafels sont à ce bout-ci ou ce bout-là de la rue des Rosiers, j'égare le musée Picasso, je ne retrouve pas Muji et ses bouts de coton qui ravissent ma cyberjumelle, la rue des Archives n'est plus ni parallèle ni perpendiculaire à la rue de Rivoli. Je me perds, je m'égare, et je finis immanquablement par me retrouver rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, le nez en l'air, à guetter un signe, une trace, qui me dirait à quel numéro de rue il habitait. Trente-neuf ? Trente-six ? Je crois que c'était sur cour. Je crois qu'il m'a dit que l'appartement donnait sur cour. Ce devait être une maison de vieux, avec des meubles qui sentent le renfermé et des napperons en dentelle. Ou alors c'était chic et de bon goût, comme la boutique d'accessoires de mode que tenait sa femme à Vavin. J'ai parfois traîné des heures autour de cette boutique sans oser m'en approcher à moins de vingt mètres aux heures d'ouverture. Jamais d'assez près pour voir son visage ni elle le mien. Et si ma ressemblance avec mon père m'avait fait reconnaître ? J'y suis allée deux ou trois fois à la nuit, scrutant à travers le rideau de fer ajouré. Chic et de bon goût. Peut-être qu'ils se vouvoyaient ? Quelles étaient leurs conversations le soir ? Dormait-il en pyjama ? Il me manque cette info. Ça serait bête que je regrette de ne l'avoir jamais vu en pyjama s'il n'en a jamais porté. J'ai des souvenirs avec lui dans le Marais : Goldenberg et sa façade un peu comme le carrelage au sol de notre salle de bains au HLM, la boulangerie avec les biscuits en collier, le traiteur avec le foie haché, les strudels rangés dans une boîte pour rapporter à la maison.
Dans une grosse semaine, j'irai – épaule contre épaule – à Maureillas-las-Illas.
Le village où mon père est mort. Ou je crois qu'il est mort. Ou peut-être avait-il été transporté dans un hôpital à Perpignan ou à Paris à la fin ? J'aurais dû lui demander quand je l'ai eue au téléphone, elle me l'aurait dit. Je ne sais pas le numéro ni même le nom de la rue. Peut-être mon gentil messager sur son gris destrier arrivera-t-il à retrouver ça aux archives des annuaires. Sinon je pourrais coller mon oreille sur la façade de chaque maison étroite à deux étages (« ma maison à Maureillas est très étroite, une pièce par étage, trois pièces en tout, avec une terrasse sur l'arrière de la maison »). Je pourrais y coller mon oreille et guetter l'écho de mon nom. « Il parlait beaucoup de vous à la fin. »
Je n'y suis jamais allée, je n'y ai pas de souvenirs. Mais j'ai lu il n'y a pas longtemps, je ne sais plus où, qu'on en fabrique plein de faux à notre insu. Alors je m'en inventerai et je les raconterai à ma cyberjumelle ; à nous deux, on a un taux d'imagination qui crève tous les plafonds des records mondiaux interplanétaires. Surtout pour nos pères. Nous sommes des pros de la paterimagination. Tu vois ce trottoir, Samantdi ? C'est là où je suis rudement tombée en courant après un ballon, j'en porte encore la trace au genou gauche.
Et puis on sonnera à la porte ou je ne sonnerai pas mais aucune importance je vous raconterai quand même. On m'ouvrira et je dirai « J'ai connu le monsieur qui habitait là avec sa femme jusqu'en 1996. » Et on me répondra « Noooon ? Vous connaissiez Fred ? » et puis « Oh, mais dites-moi, ne seriez-vous pas sa fille ? » et puis je suis son petit neveu ou son arrière-grand-cousin ou quelque chose comme ça. « Mais entrez, entrez donc ! » (et je repenserai à cet ami que sa demi-soeur a reconnu tout de suite sans l'avoir jamais vu et comment elle l'a fait entrer dans sa maison et dans sa vie, et comment c'est doux et chaud aujourd'hui et comment je suis heureuse de leur avoir la nuit dernière prêté mon appartement parisien). Oui oui, je vous raconterai comment ils nous ont fait entrer et offert un Vichy-menthe parce que Papa buvait toujours des Vichy-menthe en été et Maman pareil parce qu'elle aimait bien faire comme Papa. Et la journée qu'on a passée ensemble à papoter des couleurs des pyjamas et toutes ces choses importantes. Ils me diront si dans sa famille, ma famille maintenant, on l'appelait Fred ou Fedor ou Ephraïm. Je vous raconterai tout ça. Et comme ça sera écrit ça sera vrai, n'est-ce pas ? Les blogs ne mentent (à l'eau) pas.
Un beau trajet, vraiment.
Commentaires
, c'est vrai ? On a le droit de faire ça ? Oh ! Comme ça doit être bien…
Des bises, pleins.
Des souvenirs rue des Rosiers,St Paul j'en ai, des promenades avec mon père m'expliquant où je devais acheter le mélange de graines pour ses canaris.
Maintenant il n'y a plus rien,plus graineterie,plus d'immeubles délabrés,de rues sombres.Tout est "beau,bobo" bref je suis devenue vieille.
Il y a quelque temps (années!)j'étais allée à une expo à propos de Vilnius à la bibliothèque juive rue R. Boulanger;elle aussi n'est plu là.
Il y avait là ce qui restait des livres en yidiche.
J'ai "re"trouvé le Marais avec mes amis et enfants homos,c'est bien aussi!
Bonne quête avec ta cyberjumelle,les souvenirs,les vrais,les faux quelle importance,tenir debout voilà le but.
Mixer tout,les parfums, les saveurs, les larmes,les rires.
P.S !
J'ai lu il y a 3 ou 4 ans "les eaux mêlées" et "greffe de printemps" de Roger Ikor prix Goncourt 1955.
Beaucoup d'émotions,de sourires,une évocation de la vie parisienne
des peuples fuyant les pogroms,la misère des paysans quittant leur province pour survivre.
Pour moi c'est la MÊME histoire.L'émigration intérieure de mes grands parents et parents.Berry,Bourbonais vers Paris....
Syncrétiste que je suis,le bouquin vit une vie supplémentaire chez ma médecin juive pieuse en provenance d'Oran.
En écrivant cela je me rends compte à quel point j'ai besoin de relation avec les gens "d'ailleurs" même si cet ailleurs est le coin de la rue.
A chaque fois que je vais dans le Marais -saluer Marianne, Muji, Pablo, les quatre fils et la rue Barbette- je m'arrête d'abord au bas du haut mur lourd de noms, de l'autre côté de la muraille gardée par des gardes qui ne veulent pas se laisser égarer par quelque attentat. Je regarde, ferme les yeux. Quand le silence se met à s'ébruiter, je peux repartir.
Je vois bien le ping de Café Crème mais pas celui que j'ai fait, Hélas ! sans doute parce que je suis toujours avec Dotclear 1.2. Ca m'apprendra !
Otir > Non c'est juste que je modère les pings et que ma connexion branlante fait que je ne vais pas souvent me connecter à l'admin pour regarder s'il y a des commentaires en attente. Je file mettre ton rétrolien en ligne :-)
(De retour de l'admin : bizarre je n'en trouve pas trace. Je demanderais au sorcier Biou, spécialiste de mes outils antispam peut être qu'il y a des pings qui sont détruits d'office - mais sur quels critères, mystère)
Kozlika, ce n'est pas que chez toi, je me souviens très bien qu'on avait déjà rencontré le même problème lors de la chaîne d'Artefact.
(Quand j'ai fait le ping, j'ai reçu une croix rouge comme quoi l'url était peut-être expirée).
Billet tout émouvant, la fée, et moi qui en revient justement là maintenant.
Si tu vas à Vilnius, tu ne sera pas déçue de voir la ville de tes racines, même si tu ne t'y prends pas les pieds dedans. Tu as de belles racines. Même athée, la porte de l'aube et un bien beau point de départ, et toute la rue qui en descend un bien beau templin.
Après ça je vais plus jamais oser écrire des bêtises sur mon blog, moi :-) .
Vilnius me fait penser à tout autre chose, peut-être faudra-t-il que je l'écrive (ou pas).
Puisses-tu tomber sur l'option Petit Neveu Chaleureux et surtout n'oublie pas de faire tout ce que tu regretteras plus tard si tu ne le fais pas.
TÉLÉGRAMME SECRET
Les demi-soeurs te remercient chaudement - STOP - Elles ne savaient pas pour les Chokotoff - STOP - Sinon, elle t'en auraient apporté une caisse - STOP - T'embrasse - STOP -