Il était logique qu'une fois entrée dans la quatrième dimension j'y trouve le cinquième élément. Le seul truc que je n'avais pas prévu ni ma cyberjumelle dans nos scénarios d'hier.

Maureillas était nettement plus vivant aujourd'hui. Vivant si l'on peut dire car le glas de l'église accompagnait le chemin de l'église au cimetière qu'empruntaient quantité de gens pour l'enterrement du jour. Ce chemin passait par la rue des Aires. J'ai pu y faire quelques photos de la façade depuis un bout et l'autre, du porche, des rideaux blancs.

Quelqu'un en bas a hélé les habitants de la maison. Une fenêtre s'est ouverte. Une dame à cheveux gris s'y est postée. Elegante et belle très vieille dame aux longs cheveux bien lisses attachés. A partir de ce moment-là j'ai déconnecté. Je sais que j'ai appuyé deux fois sur le déclencheur, je sais que je me suis ensuite vivement retournée pour qu'on ne puisse pas voir mon visage de la fenêtre, je sais que j'entendais une voix mais ne comprenais pas les mots qui étaient prononcés.

Samantdi m'a entraînée plus loin. Inspirer, expirer. Se reprendre. Nous deux, Sam n'était guère en meilleur état que moi, la même idée lui étant venue à l'esprit et aussi peu préparée. On en dit beaucoup sur notre imagination à l'une ou l'autre mais en fait on est vachement limitées. Marcher, faire le tour du pâté de maisons, trouver un petit chemin depuis lequel j'ai pu faire des photos de l'arrière de la maison. Il y a une terrasse à l'étage et des jardins.

J'ai toujours pensé que la maison avait été vendue ou léguée. Il n'y a pas de ligne téléphonique à ce numéro de la rue, j'ai décortiqué toutes les pages de l'annuaire. Pas une seconde je n'avais envisagé qu'elle pourrait être encore vivante et y habiter. Pas un instant.

Ça n'est peut-être pas elle, juste une bien belle et vieille femme dans une maison acquise il y a peu. Comment savoir ? Mais je sais ce que je me suis promis. Jamais jamais prendre le risque de réveiller sa douleur et je n'avais pas d'idée géniale pour trouver un moyen de l'apprendre. La serveuse du bistrot de la place du village, au bout de la rue, ne connaît pas ce nom de famille ni les deux péquins qui étaient là, c'est tout ce qu'on a pu obtenir de notre enquête d'amatrices. Nous sommes restées là devant des boissons dont nous ne sentions pas le goût, dans ce village étrange qui s'allume et s'éteint sans prévenir, où le soleil chauffe puis disparaît en vingt secondes, dont les parkings sont pleins et les rues vides. Chacune perdue dans ses pensées, à nous sourire quand les regards se croisaient, à pouffer aussi : "Eh ben nous voilà bien avancées, tiens".

Alors nous sommes parties pour Perpignan, via Céret, son musée d'art moderne avec des fauves hongrois déprimants, son ambiance étrange, ni morte ni vivante, ni touristique ni rurale, au temps ni beau ni pluvieux.

Tout ici est bizarre. On a eu tout aujourd'hui à chaque fois qu'on a pris la voiture des embouteillages monstres, sans queue ni tête, sans raison apparente. Les deux photos que j'ai cru prendre de la dame n'existent pas. Elles n'ont pas été enregistrées sur la carte mémoire. J'ai dû appuyer sur un autre bouton que le déclencheur. Ou mal.

« Inch Allah ! Le goût du flou, dit Samantdi. Voulons-nous vraiment en savoir plus sur nos pères ? »