La chance du jour d'après
Par Kozlika le mercredi 4 février 2009, 23:50 - Lien permanent
C’est le jour d’après celui d’un abandon inexpliqué, le jour d’après la Saint-Valentin, le jour d’après celui où l’on apprend le nom de son père ou le nom de la femme de son père, le jour d’après un week-end dans la Manche.[1]
Le jour-où anéantit, le jour d’après construit. Je ne suis pas celle que je suis aujourd’hui en dépit d’eux mais avec eux, j’ai même envie de dire grâce à eux ; ils font partie constituante de moi. Et cette partie-là j’y tiens, je sais que c’est celle qui m’a donné l’esprit ouvert aux différences, aux vies qui ne marchent pas dans les clous, aux porteurs de passés douloureux qui éternuent parfois dans leur assiette, devant tous les invités. Sans mon jour-de-Manche je n’aurais sans doute pas su garder mon calme lors des confidences enfin libérées d’une amie sur son enfance et lui apporter le soutien dont elle avait besoin pour ce premier jour de parole nue.
Le jour d’après avoir appris le mariage de mon père et les jours suivants, j’ai été obsédée par le fait que je ne porterais jamais son nom, plus encore torturée de me dire que j’étais le seul témoin que ce lien existait, que d’ici quelques générations rien ne permettrait de remonter de moi à mon père. Ce lien qui ne peut se présenter sous l’évidence d’un nom ou d’une vie commune, je l’ai construit, je le sais aujourd’hui, par d’autres signes de filiation, où Queneau assura le plein rôle du parrain. L’année du jour-où et du jour-d’après, j’étais en cinquième et notre prof de français nous lut (était-ce en février ?) de larges extraits de Zazie dans le métro. Je l’avais déjà lu, mais c’est cette année-là qu’il prit tant d’importance. Mon père avait connu Queneau chez Gallimard, lui avait prêté son nom pour un personnage, le film issu de ce roman était sorti l’année de ma naissance et la petite comédienne qui incarnait Zazie me ressemblait. Je devins Zazie, j’adoptai Pérec en tonton farfelu, l’Oulipo m’entoura de ses jouets. Je m’introduisais dans une famille de mon père.
Le jour-où anéantit, le jour d’après est une chance de commencer à apprendre vraiment à marcher.
Notes
[1] Tiens, tous sauf le dernier en février…
Commentaires
Il me faudra sans doute encore longtemps avant de trouver en quoi mon "jour d'après" a porté un progrès. A moins que ces conséquences funestes du moins celles sur ma santé ne me permettent si j'y parviens de quitter ma ""prison"" en libération anticipée. Disons qu'un peu ça consolerait.
Il a aussi permis en partie que deux rencontres que j'ai faites vers cette période ou peu après soient suivies d'amitiés, mais elles sont à présent d'une telle évidence que je pense que tôt ou tard il en aurait été ainsi. Que celle que j'étais avant aurait sans doute pour eux constitué une bien plus douce amie que l'espèce de chat écorché dont ils ont courageusement hérité.
Peut-être qu'une fois libérée et avec le temps je trouverais ...
PS : Alors comme ça, Zazie c'était fait exprès (qu'elle te ressemble je veux dire) :-) ?
PS' : Verrais-tu un inconvénient à ce que nous ayons un tonton commun ?
"Le jour-où anéantit."
Merci pour ta dernière phrase, merci pour l'émotion qui m'envahit en te lisant (et tous ces textes que tu lies).
Je boite encore, mais sur la route il y a vraiment de jolies choses et de jolis gens.
Gilda > Parce qu'on se connaît je crois assez bien maintenant, je me permettrai de te dire que j'ai, moi, une idée de ce que t'a apporté ton jour d'après (au risque de me tromper bien sûr).
Il y a je crois grande difficulté à admettre qu'on a tiré quelque chose de ce qui fut douloureux, violent, desctructif, parce qu'on croit qu'en faisant ce pas-là on va minorer l'intensité de la douleur, que ce serait comme dire "bah finalement c'était pas si grave, vu que j'en ai tiré du bon" alors qu'on souffre tant/ qu'on a tant souffert.
koz > je rajouterais même qu'une fois qu'on a mesuré le gain on sait qu'on a dépassé le cataclysme et que le "jour d'après" laisse la place au "jour nouveau"; renvoyant l'avant au passé décomposé ;-)
'bsolument Mel O'Dye !
Oui, parfois je me dis que chacune des personnes qui a souffert ET est encore debout, ET peut en parler, est plongée dans l'humanité, dans l'humain, est intensément présente et peut écouter, et comprendre, au-delà du visible.
Tous tes textes superbes me donnent un coup à l'estomac.
Tous tes liens aussi.
Cela fait remonter des éléments classés, qui m'ont construite aussi. Sur lesquels je n'ai pas assez travaillé ?
Marrant l'importance de Queneau dans la vie de plusieurs amies à moi.
Encore tout récemment Babeth, qui avait correspondu avec R.Q. dès l'enfance !
Dis donc, vous n'êtes pas jumelles pour rien ! La littérature vous a toutes deux accompagnée dans cette gémellité du jour d'après.