La semaine dernière, double bonheur me fut donné d’une représentation à l’Opéra-Comique et d’une soirée avec ma fille. Sur la recommandation de Zvezdo qui avait juré de me tenir la main dans cette excursion vers l’opéra du XXe siècle, j’avais pris des places pour Albert Herring, de Benjamin Britten. À mon grand étonnement (et pourtant je devrais savoir que les bonnes surprises m’attendent souvent au coin de la cour ou du jardin), j’ai vraiment beaucoup apprécié cet opéra.

Débarrassons-nous tout de suite des reproches que j’ai à lui faire. Je ne connais pas le metteur en scène, Richard Brunel, et j’ignore s’il a souvent travaillé pour des œuvres lyriques mais à mon avis ça n’est pas le cas, ou alors lui et moi n’avons pas la même idée de l’importance de la musique dans un opéra. Toujours est-il que déjà le coup de la tondeuse à gazon sur l’ouverture j’ai moyen aimé ; quelques dizaines de secondes certes, mais tout de même ça m’a fait sursauter. Plus tard, les sonneries de téléphone portable m’apparurent comme euh… non indispensables. De tout cela j’aurais pu m’accomoder (je suis une fille facile). Mais ce qui m’a réellement déplu c’est le bruitage de la pluie sur la scène d’orage. Voyez-vous une scène d’orage à l’opéra c’est comme un exercice de style, la plupart des compositeurs s’y sont frottés (pas seulement à l’opéra d’aileurs). Il faut que la musique (qui d’habitude ne raconte rien) raconte l’orage, qu’on l’entende, qu’on le voie, qu’on sente la pluie sur nos cheveux et ce, uniquement par la musique. Alors là avec son bruit de pluie le Richard il a tout foutu par terre ; vous imaginez une voix off qui dirait « Rita Hayworth fait un strip-tease métaphorique torride rien qu’en enlevant un gant et tous les hommes bavent » pendant « Put the blame on me », vous ?

Ce reproche fait, je n’aurai que des compliments à faire ensuite, y compris pour le metteur en scène car tout le reste est intelligent, et surtout pour les interprètes, aussi bien dans la fosse de l’orchestre de Rouen, dirigé par Laurence Equilbey, que sur la scène. Vraie ou fausse, l’impression qu’ils m’ont donnée fut celle d’une véritable troupe, j’imagine - et j’ai peut-être tout faux - qu’ils ont dû beaucoup répéter ensemble. Il faut dire que pris isolément c’est déjà que du bon, malgré la (relative) faiblesse d’Hanna Schaer en Mrs. Herring. Le rôle titre est formidablement tenu par un impeccable (et tout jeune paraît-il) Allan Clayton, tant vocalement que par son jeu d’acteur.

Albert Herring est une œuvre de jeunesse de Britten, moins âpre que les suivantes, mais la critique des conventions et des carcans, si elle se fait avec plus d’humour que dans ses autres opéras, n’en est pas moins fortement présente. Le livret d’Eric Crozier est une adaptation d’une nouvelle de Maupassant transposée dans un village du Suffolk en lieu et place de la Normandie initiale.

Albert Herring - Opéra-Comique 2009 © Photo Jean-Louis Ferandez.

Les couleurs sont vives, du vert du gazon au fuschia de l’improbable chapeau de Lady Billows, la prude sommité locale qui évoque immanquablement une Geneviève de Fontenay, en passant par le tailleur de l’institutrice. La bonne société y désigne une fois par an la « Reine de Mai », qui sera le symbole d’une vie vertueuse et humble. Las, tout fout le camp et les caméras de surveillance placées aux quatre coins du village dévoilent que pas une seule jeune fille n’est encore vierge. Horreur et putréfaction. Qui sera reine de mai ? C’est alors qu’ils ont la brillante idée de nommer un « Roi de Mai » en la personne d’Albert Herring. Le jeune homme remplit toutes les conditions.

Albert Herring est commis dans l’épicerie de sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son père. On le prend plus ou moins pour l’idiot du village il n’est qu’inhibé par une mère fusionnelle, oppressante, contre laquelle il n’ose se révolter. Enthousiasmée par la promesse de gloire locale et la somme assortie à sa nomination, sa mère ne lui laisse pas le choix de refuser. Albert envie son ami Sid qui flirte avec la fille du boulanger, il envie les enfants qui jouent, il voudrait goûter les baisers d’une femme. Il s’est replié dans son monde, sa bulle, il obéit parce que c’est plus simple que se battre et qu’il ne voit pas d’issue.

Le soir du banquet qui le couronne, Sid et sa petite amie versent de l’alcool dans sa boisson. Désinhibé, Albert quitte le village avec les 2550 £ et s’empresse de goûter à tous les plaisirs qui lui étaient jusque là inaccessibles, alcool, stupre et fornication.

Pendant ce temps, on le cherche, on fouille les alentours, on le croit mort. La bonne société se désole de sa disparition. Lorsque Albert revient, l’inquiétude fait place a la colère et le rejet. Albert n’en a cure, énonce ses quatre vérités à sa mère et aux notables du village et invite les jeunes du village à fêter avec lui sa libération.

J’ai un doute sur la fin, Albert Herring s’enfonce dans le sous-sol de l’épicerie mais ça ressemble bigrement à une descente au tombeau : le metteur en scène l’a-t-il voulu ? Si oui, est-ce qu’on ne pourrait vraiment se libérer que dans la mort ? Ça ne me semble pas indispensable. Finir en fête m’aurait très bien convenu et je ne sache pas que la didascalie prévoit la disparition du jeune homme.

La prochaine fois je vous causerai aussi de la musique, que c’était vachement super bien, bien que Britten ne soit pas Italien et qu’il soit né au vingtième siècle et je vous dirai que je trouve que Laurence Equilbey a fait du super bon boulot et qu’on sent bien dans les ensembles vocaux que la dame a du métier dans la direction de chanteurs. Mais là ce billet commence à être super long et j’veux pas lasser.