L’homme de Wuppertal et moi on aime bien lire les blogs ensemble, chacun avec son doudou ordinateur sur les genoux[1]. Le billet de Samantdi, « Ajouter les nôtres aux miens », je l’ai lu quelques heures avant lui. Le soir, je l’ai vu afficher la page, puis au bout de quelques secondes marmonner : « la petite-fille de mon père ? ah oui sa nièce ». J’ai bien vu qu’il en était tout perplexe, de cette curieuse formulation.

Je ne la trouve pas curieuse moi, parce qu’en fait j’ai toujours parlé de ces gens au loin qui partageaient la vie de mon père comme de « la famille de mon père », il ne me serait pas venu à l’idée de la dire pour mienne. S’il avait eu une autre fille, je ne sais pas si j’aurais parlé d’elle en disant la fille de mon père, mais ce qui est sûr c’est que je disais les neveux de mon père et non mes cousins.

Mais voilà que Kouzin m’écrit et il conclut son premier mail par « après tout nous sommes cousins ! », et puis d’autres mails, d’autres phrases plus touchantes encore qui me font entrer dans le cercle de famille, des petits cailloux qu’il glisse dans les interstices des miens. Voilà qu’un petit-neveu de mon père est devenu un mien cousin. Et c’est quelque chose que le dedans d’une tête, parce que si Kouzin est assurément mon cousin, sa famille est toujours la famille de mon père, sauf que c’est aussi désormais la famille de mon cousin. Le lien familial ne se construit pas par partage génétique mais par l’assemblage de petits cailloux qui se mêlent les uns aux autres. Ou le lait. Un jour je vous parlerai de Luciano Pavarotti et Mirella Freni.

Kouzin sait déjà qu’il a une cybercousine ; il faudra que je lui dise aussi que Raymond Queneau est son grand-oncle du jour d’après.

Il faut que je réfléchisse aussi à la question qu’a suscitée une suggestion de l’homme de Wuppertal, entre le premier et le deuxième mail de Kouzin, quand je pensais que peut-être il allait changer d’avis et que je n’aurais plus jamais de nouvelles. « Il n’est pas temps de t’affoler. Mais s’il ne répond vraiment pas d’ici mettons une semaine, envoie-lui un mail avec juste les questions les plus importantes que tu avais à poser, ce qu’il te tient vraiment à cœur de savoir. »

Savoir si elle est encore vivante, ça fastoche (et c’est oui et elle a 101 ans, je suis bien contente !). Mais sinon ? Ai-je vraiment des questions importantes à poser ? Je n’en suis pas sûre du tout au bout du compte ; à lire Kouzin je m’aperçois que sans doute n’en ai-je pas tant que ça. Juste…

…des petits cailloux à placer dans les interstices. Il a vraiment existé. Et du coup toi aussi, tu es. Vivante.

Notes

[1] N’est-ce pas Chiboum moqueuse ?