Légère incursion dans la Vénérable Entreprise
Par Kozlika le vendredi 26 juin 2009, 10:42 - Lien permanent
En principe, j’évite de parler boulot ici : d’abord je n’ai pas envie qu’on fasse trop facilement le rapprochement[1] et me retrouver avec des lecteurs-collègues autres que mes amis, ensuite c’est mon espace récré ici : quand je quitte les locaux de la Vénérable Entreprise je tâche de ne plus y penser du tout.
Mais je ne résiste pas à relater deux anecdotes, tellement démonstratives à la fois des préjugés qui y règnent et des raisons pour lesquelles parfois je me décourage.
Premier dialogue. La discussion m’est rapportée par le collègue qui est chargé de réfléchir à la mise en place d’un nouveau site (ou refonte d’un existant ça n’est pas tranché). Elle a lieu entre ce collègue et le déssaïdor de qui bosse sur quoi dans le service.
Le collègue : pour l’équipe qui doit travailler sur le nouveau site, j’aimerais bien y adjoindre Mme Kozlika.
Le supérieur : elle me l’a déjà demandé mais ça n’est pas du tout son rayon. Elle s’intéresse aux réseaux sociaux, facebook, les skyblogs, les logiciels libres[2], tout ça ; ça n’a rien à voir avec nous. Par contre une fois le site en place si elle veut répondre aux questions des internautes on en aura besoin. Ou les relectures du rédactionnel. C’est plus proche de ce qu’elle sait faire.
Le collègue : non non, je crois que justement elle n’est pas spécialement branchée sur les réseaux sociaux et qu’elle se débrouille pas mal en sites. D’ailleurs regardez elle a fait un faux site de démo pour nous [lui montre le truc] avec le CMS dont elle s’occupe.
Le supérieur : moui… c’est à peu près ce dont on a besoin, mais… enfin… elle se débrouille ou bien ? N’oubliez pas qu’elle a beaucoup d’amis informaticiens, hein [air on-me-la-fait-pas]. On va plutôt confier ça à un maquettiste [aka ex-monteur papier de l’imprimerie] et après au service informatique.
Fermez le ban.
Second dialogue. Je croise l’une des personnes du service chargé des autres sites web que celui de mon service, qui est traité à part. À l’origine c’est un « maquettiste » (voir plus haut).
Le gars : dis donc, tu as une idée de ce qu’ils recrutent exactement dans ton service ? On m’a proposé d’y venir, je n’ai pas compris pour y faire quoi.
Moi : ah non je n’étais pas au courant du tout qu’ils cherchaient du monde. Possible que ce soit pour aider sur la mise en conformité avec le RGAA suite au décret. Je fais partie du groupe de travail là-dessus et du monde en plus ne serait pas de refus, ya du boulot !
Le gars : oh tu crois ? pour ce truc pour les aveugles, là ?
Moi : euh oui, enfin… sur l’accessibilité en général plutôt.
Le gars : ah oué… bon ben c’est tout vu, ils peuvent aller se faire f***.
Moi : uh ? Mais pourquoi ça ? C’est plutôt motivant je trouve ! D’ailleurs, je viens de faire un stage très intéressant qui…
Le gars : nan mais tu comprends, toi c’est pas pareil mais je suis un technicien moi, ces trucs-là ça m’intéresse pas. T’as vu le document ? 300 pages pour dire faites ceci, faites cela et que des trucs pas intéressants et en plus ils ont pas été foutus de créer une appli qui contrôle ça automatiquement à 100% ; je connais bien, on m’a demandé un bilan sur les sites dont je m’occupe actuellement. Ils rigolent ou quoi ? C’est du travail administratif, chuis pas un gratte-papiers, chuis un technicien (Ad libitum/nauseam, rien pu en tirer d’autre.)
Commentaires
Les bras m'en tombent...
Non seulement déssaïdor est incompétent et ne sait pas faire le manégeur, mais en plus c'est un mufle.
J'ai envie de le taper, moi.
Mais que deviendrais le monde si on mettait les gens compétent au bon postes!
Delenda macho est.....
Bonne mentalité à ce que je lis.....
Ah, comment dire, c'est un peu comme les histoires de service militaire, où les compétences étaient si bien utilisées... On pourrait en rire, si cela n'était pas si énervant...
Ici, nous avons une valse de "consultants" qui ne font pas du bénévolat je t'assure. Mais j'aime autant me taire...
Bonne journée.
Moi qui a été longtemps technicien pur jus puis webmestre intranet de ma Vénérable Entreprise à moi que j'ai, j'invite ton technicien de collègue à rester pendant une petite journée auprès d'un collègue plutôt du genre non-voyant (si ta Vénérable Entreprise en a embauché un pas trop loin)...
C'est on ne peut plus formateur.
Bon, je dis ça mais avec mes blogs "photo-oriented", j'ai l'air malin avec ce conseil...
"delenda macho est" ? Pas sur que ce soit un problème de machisme ; peut-être seulement une myopie par rapport aux profils / diplomes / carrières métier, etc. D'ailleurs si c'est Koz qui fait le design des sites Web, quel boulot restera-t-il aux maquettistes ? Pas sur que eux soient capables de relire une doc :-)
Ouaip mais bon...
Faut le dire tout cru : l'accessibilité, c'est pour les losers.
Ça donne des trucs tellement moches qu'on voudrait tous être mal-voyants.
En fait dans mes meilleurs moments, je me console en pensant « rho, trobien, je vais pouvoir faire rire mes copains en leur racontant ça », mais bon, je n'y arrive pas toujours ;)
Pep > trop gros, passera pas ! (discours en effet typique)
@bladsurb > sur le problème de la reconversion des métiers de l'imprimerie alors qu'on passe au tout-numérique ou presque, je pense que tu as raison ; en l'occurrence, "Dessaïdor" n'en a rien à péter, mais c'est un vrai problème dans V.E.
Mais là encore les préjugés jouent à plein : tu es jeune, mec, ex-monteur ou typo ou photograveur, t'as pas besoin de formation : tous les jeunes maîtrisent les outils web, c'est bien connu, d'ailleurs ils ont un Dreamwaever cracké chez eux. Eux-mêmes ne voient absolument pas à quoi une formation pourrait bien leur servir. Ou alors pour faire des trucs de ouf en flash et les standards du web c'est une bande de psychorigides. Pour l'accessibilité, voir Pep ci-dessus :-)
Cela dit, tout le monde n'est pas aussi obtus (même s'ils sont rares), comme le montre mon collègue du premier dialogue. Et puis du sang frais va arriver suite à une fusion et je crois savoir qu'ils ont une approche nettement différente sur les produits web. Voyons ce qu'il en sortira.
Pfff...
Le vendredi, c'est permis ! :-p
Les préjugés dans l'entreprise, y'en a à tous les niveaux. Il m'est arrivé un truc du genre en bcp moins grave, genre on m'envoie à la réunion hebdo des dessaïdors, et là le big boss me regarde au bout de 5min et me dit : "tu sais, on ne va pas parler technique...", et donc implicitement "c'est pas nécessaire qu'un techos soit là"
Une autre fois, on bosse avec des gens avec un profil "socio / psycho". Ils trouvent nos méthodes de gestion de projet trop contraignantes, car eux ont besoin d'espace pour leur créativité. C'est bien connu, à la technique on ne fait que réaliser, et donc c'est pas intéressant.
Les gens ne connaissent pas du tout notre métier, et c'est ça le problème. Mon entreprise n'est pas vénérable, donc on peut facilement passer d'un profil à un autre, je me dis que chez toi ça doit être bien pire... Courage !
sinon dans l'ensemble assez d'accord avec bladsurb
Je constate que toutes les Vénérables Entreprises sont formatées à l'identique!!
Comme cunégonde, et ô que je suis soulagée de m'en être sortie.
De toutes façons je ne vois pas pourquoi tu rêvais, quelle idée d'être une femme et de plus de 20 ans et de vouloir faire autre chose que de la broderie.
« Quelle idée d’être une femme ? » Celle-là, je pense qu’il faut la garder \o/
J’aime beaucoup le côté « on me la fait pas » face à une réalisation que le mec a sous l’œil. On est excessivement tenté de formuler « On me la fait pas, je ne vais pas abandonner mes idées préconçues parce que j’ai la preuve qu’elles ne tiennent pas la route ».
Merci de me rappeler pourquoi les zusines, même sans gaz, me font fuir aussi… irrémédiablement ! (cacedédi gilda)
@Cunégonde : non, toutes les vénérables entreprises ne sont pas formatées à l'identique. Le « dessaïdor » français moyen peut-être, et encore ça dépend d'où il vient et où il grouillotte. Il y a des éléments de contexte qui manquent (hein Kozlika ;-), et le fait (je dis ça comme ça) que ce site n'est pas franchement un élément vital dans la dite V.E. (du moins dans la tête de ses grands chefs) ne joue pas en sa faveur.
Parfois, quand on croit dur comme fer à quelque chose, il faut savoir s'imposer. Ou court-circuiter les importuns, même s'ils sont plus dessaïdor que vous sur l'organigramme (ils n'y comprennent rien et n'y voient que du feu de toute façon). Un conseil de première main que j'ai beaucoup pratiqué ;-). Ce ne sont pas les bons petits soldats qui font avancer les V.E., mais les vilains petits canards motivés qui mettent des grains de sable dans les rouages...
Ca ne m'étonne même plus, et pourtant ça me met toujours en pétard, ce genre de dialogues in entreprises. T'as bien raison, fermons la porte mentale du bureau hermétiquement quand on le quitte.
Quel bonheur pour moi de ne plus bosser quand je lis ça ! Enfin j'en entends de belles aussi par mon jules et ses amis ... Le goût du pouvoir fait des ravages ; les êtres qui en ont un petit peu (de pouvoir ) dans leur job ne tremblent que de le perdre , s'entourent de plus incapables qu'eux pour briller un peu et surtout n'engagent personne d'un peu doué qui leur ferait de l'ombre...
@Vic : ça s'appelle la règle des managers médiocres (the Rule of Crappy Manager). Un manager médiocre n'embauchera que des gens encore plus médiocres car ils ne lui feront pas d'ombre, au contraire ils lui seront fidèles car ils savent qu'ils risquent leur place s'ils n'ont plus son soutien. C'est ce que craignent le plus les jeunes sociétés, car une fois qu'on a embauché un manager médiocre, le ver est dans le fruit et c'est l'inexorable marche vers un organigramme à la Peters (où chaque poste fini par être occupé par un incompétent).
A contrario, ce qui distingue un bon manager d'un médiocre, c'est sa capacité à permettre à ses troupes de se sublimer et d'évoluer, y compris en le quittant. Ce qui exige de recruter des gens talentueux. Evidemment, c'est plus difficile à trouver que la médiocrité.