Métro crochet
Par Kozlika le mardi 5 janvier 2010, 19:34 - Lien permanent
Dupleix, bonne pioche : malgré plusieurs personnes debout il reste une place assise libre. Après avoir consulté du regard les personnes qui en sont proches pour m’assurer qu’elles ne la convoitaient pas, je m’y installe et sors mon ouvrage en cours.
La Motte-Piquet : je constate que la fin de ma balle de coton est tout emmêlée. Je pose mon ouvrage sur mes genoux et entreprends patiemment de défaire les nœuds – patiemment parce que chacun sait que si on tire, tire, tire, on a toutes les chances de se retrouver avec un paquet inextricable qui laissera comme seule issue le coup de ciseau fatal. Le vieux monsieur près de moi s’extasie : « Oh, on ne voit plus ça, des femmes qui tricotent ou qui brodent dans le métro. Avant il y en avait beaucoup plus, quand j’allais travailler il y en avait toujours trois ou quatre par wagons. Maintenant elles lisent. » Une pause. « Remarquez, je ne dis pas ça pour critiquer, c’est bien aussi de lire, hein ! Pas de raisons que ça ne soit que les hommes qui lisent. Moi j’ai toujours aimé lire alors je comprends les femmes qui lisent. » Il s’inquiète : « Non mais c’est très bien les femmes que les femmes lisent en fait, c’est juste que ça faisait longtemps que je n’avais vu personne tricoter. » Je le rassure d’un sourire, j’ai bien compris. Les personnes en face de nous lui sourient aussi.
Edgar-Quinet/Pasteur : toute concentrée que je suis sur ma tâche, je ne vois pas que le crochet s’est détaché de l’ouvrage et glisse. Au moment même ou je m’en aperçois, il est trop tard. Je me penche immédiatement mais ne parviens pas à le rattraper à temps. Le crochet fuit mes genoux et tinte en tombant. Flûte ! La rame entame sa descente pour passer d’aérien à souterrain, on entend distinctement le roulis du crochet.
Je me penche et cherche à voir sous mon siège, la femme en face de moi en fait autant et nous nous cognons la tête. Elle rit. L’homme qui est avec elle se lève et tente de se pencher également mais il a trop peu de recul sur sa banquette et n’y parvient pas. Le vieux monsieur se lève pour lui dégager de l’espace. De l’autre côté du couloir on interroge : « Vous avez perdu quoi ? » et on se courbe également, à tout hasard.
Le vieux monsieur, toujours debout, plie de 10 degrés vers l’avant et se redresse en s’excusant : « Désolé je ne peux pas me pencher plus… » Son mouvement a gagné les personnes dans l’espace devant les portes ; malgré l’exiguïté créée par le nombre, chacun penche plus ou moins la tête et le corps, à la recherche de mon fugitif. Une petite fille demande à sa mère : « Maman, je peux chercher moi aussi ? » « C’est sale par terre », répond la maman. Soupir. « Bon allez, vas-y. » Toute cette agitation gagne l’autre espace debout. Un jeune homme d’une petite vingtaine d’année se plie en deux et inspecte le sol puis se redresse et s’enquiert, rigolard : « Au fait, on cherche quoi, là ? » « Une aiguille ! », clame le compagnon de ma vis-à-vis. « Mais non, un crochet », rectifie l’expert à mes côtés.
Denfert : une jeune femme assise au milieu du wagon brandit l’objet de mon ressentiment : « Je l’ai ! » Mon crochet passe de main en main jusqu’à moi. Le Saint Graal n’aurait pas été convoyé avec plus de soin. La petite fille s’enquiert : « On cherche l’autre, maintenant ? » « Non, non, on tricote avec deux aiguilles, mais on ne crochète qu’avec un seul crochet », répond un homme près d’elle (décidément, c’est un wagon de savants !) « Ah ! » fait la gamine, dépitée que le jeu soit fini. Puis, bonne pâte : « En tout cas on l’a tous retrouvé ! »
Le mot de la fin appartient alors à une femme dont je ne verrai pas le visage en raison de la foule relativement compacte. Façon Pauline Carton, elle trompette : « Et c’est tant mieux parce que je ne ferais pas ça tous les jours ! »
Commentaires
peut-être est-ce le froid qui rapproche les gens ? d'un autre côté, cela me fait penser à une jupe qui provoquait toujours la même question de la part des inconnu(e)s dans le métro : c'est vous qui l'avez faite ?, et j'étais désolée de les décevoir ;-)
en tout cas, l'histoire est jolie !
Qu'elle est jolie, cette histoire de crochet ! Après ça, on ne pourra plus dire que le métro, c'est triste !
Non, Samantdi, en effet. Je crois qu'il n'y a pas besoin de le solliciter beaucoup pour que le Parisien quitte sa mine renfrognée et détrompe les clichés (encore que pour être honnête, des fois le fléau balance de l'autre côté, mais je préfère raconter ces histoires-là).
En v'la une histoire à tricoter des grands sourires!
Ainsi, même dans le métro, il est possible de crocheter les serrures et d'ouvrir les boites à bonne humeur.
(Je partage tout à fait ton avis sur les parisiens : généralement, quand je sors mon grand sourire de candide provinciale, j'obtiens des réactions très sympathique.)
(et quand je mets un S à sympathiques, j'ai moins honte)
c'est ce genre de jolie petite histoire anodine qui me fais penser que l'humain n'est pas si mauvais que l'on voudrais bien le faire croire...
Finalement les crochets se sauvent toujours, celui de ma grand-mère était pareil.
Quand aux parisiens c'est comme les corses il suffit de peu pour avoir un sourire et trois amabilités d'eux.
Dans un bus, à Hanoi, deux jeunes vietnamiennes en train de dévider un écheveau de laine pour en faire un énorme peloton. J'avais pas revu ça depuis que ma grand mère me réquisitionnait pour l'aider.
Même jeu de sourires complices autour...
une bien belle aventure.
\o/
Un bien joli moment sans doute, une belle page de lecture en tous cas.
Ah, j'adore ces moments là et surtout ta façon de les raconter! ça met de bonne humeur de bon matin!.
Il nous est arrivé une chose similaire un jour avec mon Il. Ligne 13. Un jeune homme d'affaire avait laissé glisser son téléphone ultra fin entre le mur et la banquette latérale et nous puis chacun dans le wagon y est allé de son truc pour tenter de le récupérer. C'est finalement le journal d'une femme assise en face de moi qui a sauvé le téléphone du jeune homme. Il y a eu pendant tout le reste du trajet comme une ambiance de convivialité, c'est comme si nous nous retrouvions à la fête des voisins ;-).
Quelle jolie scène ! Très cinématographique, en plus ! Le jour où tu écris un scénario, tu pourras la recaser facilement !!!
(Et cet ouvrage, alors, il avance ? Pelote démêlée ??!!)
L'origine de la phrase : « Et c’est tant mieux parce que je ne ferais pas ça tous les jours ! » est par là et c'est à ne pas rater :
http://www.dailymotion.com/video/xn...
charitable KA !
je la trouvais bizarre, cette phrase, aussi
Comme je faisais, justement, un crochet par ton carnet... :)
J'en ressors jaloux et confiant : il y a, oui, du plaisir à écrire !
:-)
Note: la réplique finale, dans la 'célèbre pub', est dite par Marie-Pierre Casey.
Génial ! (Un peu troublé par le sens de circulation sur le tronçon Edgar-Quinet/Pasteur, mais génial). Et 'nn année, pisque j'ai passé mon tour sur le billet idoine.
un moment de vie comme on en aimerait tant d'autres !
qu'est ce qu'il ne faut pas faire pour que les gens se parlent de nos jours : danser, peut être ...
avec mes meilleurs voeux, et tout plein de bises, Tine
http://pixelle.info
Une belle histoire ^^
C'est rigolo, je ne t'imagine pas crocheter.
J'avais eu droit aussi à une remarque dans un tgv à l'époque où je réalisais un cadeau (des sets de table personnalisés au point de croix) pour une copine : vous faites bien jeune pour pratiquer la broderie !
…hi hi!
…suis tombée par hasard sur ce post…drôle…du vécu !
Moi aussi je crochette dans le Métro…à Bruxelles !! Et comme je fais du crochet tunisien, cela intrigue et il y a plein de questions qui pleuvent !!
Avant je dessinais dans les transports en communs : cela brise également la ‘glace’…mais exaspère parfois ceux qui servent de modèle…
Les enfants sont très intéressés de nous voir occupés à autre chose qu’un clavier de GSM.
Et puis : quel temps gagné !!! Au moins nos ouvrages avancent !!
Bon crochet à vous toutes et tous !