Il fut un temps, notamment dans les couches[1] intellectuelles et/ou aisées où faire le choix d’allaiter son enfant était regardé comme une sorte de manifestation de bestialité ou à tout le moins une pratique vaguement arriérée. C’était très con. Pas moins con est le diktat du moment qui veut qu’au contraire choisir de donner le biberon à son enfant vous étiquette comme une mauvaise mère ou comme une pauvre malheureuse que le salariat oblige à abréger le pouponnage à plein temps.

Je n’ai pas lu le bouquin d’Élisabeth Badinter ni écouté la journée où elle était l’invitée de France-Inter mais j’ai lu son interview au Monde et la levée de boucliers dont elle fait l’objet. On lui reproche d’être contre l’allaitement, contre les couches lavables, de ne pas parler des différences salariales entre hommes et femmes.

Je n’aurai pas la prétention de faire le tour du sujet du féminisme ou de l’apport ou non-apport de Badinter à la cause des femmes en un billet. Il serait forcément lapidaire de traiter tout ça à la fois, comme l’ont été les articles ou billets publiés ces derniers jours contre Badinter. je n’exclus pas de revenir sur les autres sujets qu’elle ou ses détracteurs abordent (l’affaire des couches lavables par exemple) mais il ne sera question aujourd’hui que de l’allaitement parce que ce dont elle parle je le ressens aussi et je le vois autour de moi. On ne peut choisir de nourrir son enfant au biberon que par impossibilité de faire autrement, pour des raisons physiologiques ou professionnelles, un choix par défaut. Je ressens comme elle que la liberté de choix à cet égard est bien moins grande que dans les années quatre-vingt où lors des séances de préparation à l’accouchement on vous demandait ce que vous comptiez faire à cet égard. Il est désormais entendu – ou alors toutes les jeunes maman que je connais sont mal tombées – que le mode normal est l’allaitement, tellement mieux pour la santé de l’enfant, la relation précoce mère-enfant, tellement plus en accord avec la nature.

Or l’allaitement maternel n’est pas sans conséquences sur la place des pères auprès de leur bébé, la répartition des tâches, le temps disponible des femmes, la date possible d’entrée en crêche… Sur tous ces points c’est objectivement un recul par rapport à l’alimentation au biberon. Ça ne veut pas dire que qui le choisit vend son âme au machisme, on peut faire le choix raisonné de sacrifier ceci par rapport à cela parce que l’apport est plus grand que la perte et parce que c’est limité dans le temps. Mais est-ce donc si tabou qu’on ne peut l’évoquer comme tel sans se prendre une volée de bois vert ? Le seul problème que soulève l’allaitement maternel ne tiendrait-il qu’à un congé de maternité trop court pour assurer les six mois de mode d’alimentation exclusif apportant son efficacité maximale ?

Oui, cessons donc d’avoir une vision unique de la gent féminine et de la maternité épanouie – et de l’idée que l’une ne va pas sans l’autre aussi d’ailleurs. Laissons le choix aux parents, laissons-le leur vraiment sans leur faire croire qu’il existe la bonne solution et le pis-aller. On fait le tour : je commence, rectifiez-le, complétez-le !

Allaitement

Avantages

  • pas besoin de se trimballer avec des biberons, les laver, de penser à refaire le stock de lait, etc. ;
  • économie (le lait en poudre c’est cher, d’autant que même à la maternité celles qui font ce choix doivent le payer) ;
  • remise en place de l’utérus plus rapide grâce aux contractions provoquées par l’allaitement ;
  • transmission des anticorps (attention : d’après ce que j’ai lu son efficacité réelle à cet égard demande que cette alimentation soit exclusive pendant six mois au moins) ;
  • satisfaction personnelle d’être à même de nourrir son enfant sur ses seules ressources ;
  • un bon prétexte pour se couler dans un fauteuil sans plus rien faire d’autre pendant un quart d’heure sans culpabiliser ;
  • les selles ont une odeur bien moins incommodante qu’avec la nourriture au biberon ;
  • avec un peu de bol, le père en fait un peu plus à côté pour « compenser ».

Inconvénients

  • présence quasi constante (oui les tireuses à lait existent mais pour l’avoir testé pour vous je peux vous dire que pour certaines femmes c’est très désagréable et quand j’arrivais à récupérer 40g c’était le bout du monde…) ;
  • calculer les séances de cinéma en fonction de l’heure des têtées ;
  • pas de possibilité de partir cinq ou six jours sans l’enfant ;
  • le papa est exclu de ce moment privilégié les yeux dans les yeux de son enfant – et de la satisfaction d’être pour quelque chose dans son air repu ;
  • pas possible de mettre l’enfant en crèche avant la fin de l’allaitement ;
  • pour certaines (dont moi) obligation de porter les si sexy coupelles d’allaitement (au mieux les coussinets qui personnellement me créaient moult irritations) ;
  • vous vous trimballez en permanence une odeur très particulière ; peut ne pas être un inconvénient si celle-ci ne vous dérange pas ;
  • interdiction de picoler ou de fumer.

Add commentaires :

  • ça peut faire mal (griffures, crevasses) ;
  • il faut être rigoureuse dans sa propre alimentation (équilibre et quantité) pour veiller à celle de l’enfant

Bonus

Si vous êtes à bord du Titanic, vous pourrez nourrir votre enfant sur le radeau de sauvetage, voire un ou deux marins. Si vous avez pensé à prendre la tireuse à lait, vous pourrez survivre vous aussi, ce qui arrangera tout le monde.

Biberon

Avantages

  • n’importe qui peut lui donner le biberon : le papa, les frères et sœurs, les parrains marraines…
  • si vous êtes dans un lieu public à l’heure de la têtée vous n’avez pas besoin de déballer la marchandise devant tout le monde si ça vous gêne ;
  • vous ne vous posez pas la question de savoir s’il a pris 20g ou 100 de lait ;
  • vous pouvez faire un break de quelques jours enfin seule ou à deux en amoureux ;
  • lorsque votre enfant vous sourit vous savez que c’est bien à vous qu’il sourit et pas au garde-manger ;
  • c’est pas toujours sur vous qu’il régurgite ;
  • le père se lève la nuit aussi, donc il est aussi crevé que vous, donc sa libido s’endort et se réveille à peu près synchrone avec la vôtre.

Inconvénients

  • il faut vous justifier sans arrêt de ne pas le nourrir « naturellement » et du tort que vous causez à sa santé et à son épanouissement ;
  • il faut veiller sans cesse au stock de biberons (et les laver), de lait…
  • ça coûte cher ;
  • le caca pue ;
  • vous ne pouvez pas garder le gamin pour vous toute seule, tout le monde veut lui donner le biberon ;
  • le bébé ne profite pas de vos anticorps (argument valable uniquement en comparaison d’un allaitement de six mois minimum) ;
  • certains enfants sont intolérants au lait de vache maternisé et là c’est galère pour trouver du lait de soja.

À vous !

Notes

[1] Non lavables, mais recyclables.