Les justes causes et leurs petits arrangements
Par Kozlika le mercredi 8 décembre 2010, 12:04 - Lien permanent
Quand une femme (ou un homme) dit non, c’est non. Avant ou pendant. Et si il/elle dit “pas sans capote” et que l’autre passe outre, ça n’est pas justifiable, fût-ce une gardienne de prison de Guantanamo séduite par Gandhi ou une Suédoise atrabilaire qu’on dit liée à la CIA accueillant chez elle et dans son lit le SuperHéros de Wikileaks. Il est à cet égard regrettable que pour défendre Julian Assange certains balayent les accusations portées contre lui sous l’angle du “spa bien grave” ou carrément se gaussent en ne voyant vraiment pas où est le mal. Quant à l’autre Suédoise plaignante, commence à courir l’argument du “elle lui a sauté au cou, qu’elle ne vienne pas se plaindre ensuite”.
C’est l’approche choisie par ses avocats ; ils font j’imagine leur job en se plaçant sous l’angle de ce qui est plaidable en fonction de la loi suédoise, car la Suède opère (pour le moment en tout cas, au grand dam de la procureure qui le poursuit, si j’ai bien compris) un subtil distinguo entre la contrainte (crime) et la surprise (délit)[1] [2]. C’est leur boulot, ça n’est pas le nôtre.
C’est l’ennui de vouloir absolument que les causes justes soient défendues par des super héros qui ne font jamais rien de mal : on est prêt à tout justifier pourvu que leur belle image ne soit pas écornée.
Pourtant le vrai problème de cette interpellation n’est certainement pas de savoir si les accusations portées contre lui sont graves ou insignifiantes. Elles sont graves, nous ne devons pas transiger sur ce point.
Ce qui importe seul dans cette affaire c’est la troublante opportunité de ces accusations au moment où les dirigeants de nos Etats veulent faire taire Wikileaks à tout prix, ce sont les moyens considérables mis en oeuvre pour arrêter un homme sur ce chef d’accusation quand tant d’autres criminels ne font pas l’objet de la même opiniâtreté, c’est de savoir que la Suède et les Etats-Unis discutent déjà d’une extradition, cette fois-ci au titre de l’Espionage Act. Et c’est bien suffisant pour nous alerter, nous en indigner, nous en inquiéter, bref, faire du bruit, sans avoir pour cela à justifier l’injustifiable.
Notes
[1] Ce qui n’est pas le cas en droit français.
[2] Notons au passage que si ces femmes admettent ne pas avoir subi de violence, Assange lui, par la voix de ses avocats et l’argument de la “surprise”, admet qu’elles n’étaient pas franchement d’accord pour que ça se passe comme ça, hum ?
Commentaires
Ça, je l’avais vu venir gros comme une maison dès la première fois où on a évoqué ces accusations de viol. Si ces deux femmes mentent, elles ne servent pas la cause des femmes. Mais si elles ne mentent pas, ce qui leur tombe sur le gueule (et d’ailleurs indirectement sur la nôtre) est très, très moche.
Note bien que personnellement, je ne vois pas Assange comme un héros. Des révélations de Wikileaks ont quand même foutu dans une merde noire des informateurs locaux du gouvernement américain en Afghanistan, par exemple. On ne va pas faire d’angélisme, tous les gouvernements de la Terre ne peuvent pas tout se dire. Le culte de la transparence, très peu pour moi. Certaines infos méritaient peut-être d’être dévoilées, mais après un tri et après avoir pris soin de rendre anonymes tous ceux que ça pouvait mettre en danger. Un boulot de journaliste, quoi.
Le manichéisme a de bons jours devant lui. Il semblerait qu’il soit impossible à la plupart des gens que je lis de prendre la défense de WikiLeaks sans prendre la défense d’Assange, et de prendre la défense d’Assange sans dire qu’on ne l’accuse que de bisbilles.
Je ne suis pas l’affaire d’assez près pour être tombé sur le type d’arguments nauséabonds dont tu te fais l’écho. Mais je suis atterré de constater que ton billet et celui de Krazy Kitty sont nécessaires. Il y a donc encore des gens (et ils sont nombreux, apparemment) à qui il faut répéter ad libitum que les êtres humains ne sont pas des objets… Ça me déprime.
En fait le problème ne me semble pas celui évoqué.
Il doit y avoir plainte, ok et il doit être condamné de cet acte là. La plainte a été déposée déboutée par un puis par deux procureurs, et il ne semble pas que tout cela soit aussi clair qu’annoncé dans cet article. Qu’interpol agisse aussi vite est tout de même surprenant car ils sont moins actifs pour des terroristes hébergés en Angleterre…
Bref, ce qui pose problème c’est que le droit soit mis au service de l’intérêt moral (immoral?) d’Etats dits Démocratiques qui ont là une attitude digne de n’importe quelle dictature : on arrête, on condamne, on prive de ses droits quelqu’un qui n’a été ni jugé ni condamné.
Si les Etats Unis ne savent pas conserver leurs petits secrets c’est mal mais c’est leur faute; celui qui les trouve et en fait part au monde n’est pas le coupable de cette mauvaise gestion interne. Il aurait pu limiter les dégâts selon sa conscience mais il ne l’a pas souhaité et a laissé des journalistes faire ce choix en leur livrant les informations brutes.
Que tous les pays larbins des Etats Unis, les institutions financières dont les filiales OffShore hébergent de l’argent mafieux, soient prêts à renier toute morale et considération pour le droit de l’individu simplement pour plaire à leur maître ne me semble pas une bonne chose.
Anna, peu importe qu’Assange soit un héros ou non, que Wikileaks soit une bonne chose ou non. Il est inadmissible qu’un gouvernement ou des ministres ou des banques s’arrogent le droit de décider d’empêcher un site d’exister et de disposer de son argent. Si on ne respecte pas ces principes de base, alors on justifie à peu près n’importe quoi. Cela dit, ça n’est pas l’objet de ce billet. On aura peut-être l’occasion d’y revenir.
Krazy, oui, tout à fait. J’ai bien aimé l’article qu’on m’a signalé sur Twitter à ce sujet : Assange, some cognitive biases.
L’Astronome > Oui hein ? C’t’un peu usant d’avoir l’impression de se retrouver perpétuellement devant le tonneau des Danaïdes…
az > J’ai dû très mal m’exprimer ou tu as lu en diagonale.
Ah ça… Avec ce sujet, tu risques de crouler sous les commentaires off topic et les trollages en tout genre, hein… :-(
Le jour où l’on ne se retrouvera plus perpétuellement devant le tonneau des Danaïdes, ce ne sera plus le tonneau des Danaïdes.
Il faut donc continuer à le remplir, ne jamais s’arrêter, ne jamais se taire. Votre billet a ceci de précieux que je n’avais pas percuté l’affaire sous l’angle que vous soulevez, et qu’en effet comme toujours le piège se referme où on ne l’attend pas.
L’accusation est grave, et minimiser ce qu’on lui reproche est un faux combat. Il n’y a que deux possibilités, comme il a été dit: ou bien les faits sont avérés et le superhéros doit être condamné selon les termes des lois en vigueur du pays où ils ont été commis (en l’occurrence la Suède, je n’ai pas lu que le viol avait eu lieu aux États-Unis), ou ils sont inventés et le monsieur doit retrouver sa liberté. Il ne m’appartient pas évidemment de trancher la question selon cet angle, ce sera la responsabilité des enquêteurs, des juges, du tribunal, des avocats, et j’en passe.
Il ne s’agit là que de l’acte qu’on lui reproche, en tant que tel. Cet acte est fondamentalement un crime, et rien ne peut l’excuser ni le minimiser, quand bien même son auteur serait un superhéros, Gandhi en personne, Nelson Mandela ou Henri Quatre bien de chez nous, il importe d’être définitivement clair sur ce point.
J’ai tendance à penser que notre bon roi Henri, sur ce point, n’est pas clair, lui.
Mais, coupable ou non coupable, dans aucun des deux cas le monsieur ne devrait être extradé vers les États-Unis. S’il devait en être ainsi, on serait légitimement en mesure de s’interroger sur le vrai du faux, et sur la réalité de la culpabilité. Cela ne signifie pas minimiser l’acte de viol, mais seulement exprimer un doute sur la réalité de celui-ci, tant il aurait abouti à une absurdité juridique, à savoir l’extradition par la Suède vers les Etats-Unis pour un crime commis sur le territoire Suédois et non un territoire américain.
Mais répétons le, si cet homme est coupable de ce crime, qu’on cesse de dire que ce n’est pas grave. Il faut que je m’en souvienne, et cette piqûre de rappel est bienvenue.
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C’est à cause de ce passage :
C’est l’ennui de vouloir absolument que les causes justes soient défendues par des super héros qui ne font jamais rien de mal : on est prêt à tout justifier pourvu que leur belle image ne soit pas écornée.
Que j’ai cru que j’étais dans le sujet en disant qu’Assange était loin d’être un héros à mes yeux. Désolée si ce n’était pas le cas.
Là où j’ai été imprécise, c’était en ne disant pas que ce qui compte, c’est malgré tout la loi. Même si moralement on peut se poser des questions sur WikiLeaks, si le site et son fondateur n’enfreignent pas la loi (et je n’ai pas ouï dire que c’était le cas) les gouvernements n’ont rien à dire, en effet.
(Pardon, il semble que mon navigateur bégaie… Tu voudras bien faire le ménage ?)
Andrem, merci pour ce commentaire que j’approuve pleinement.
Anna, nous sommes donc d’accord :-) La phrase que tu relèves était vraiment à comprendre comme une généralité, qui marche dans les deux sens d’ailleurs. Ainsi Céline est-il pour beaucoup forcément un mauvais écrivain puisque le personnage est puant.
L’Astronome > fait !
Il y a un excellent papier dans le Guardian sur ce sujet précis : How the rape claims against Julian Assange sparked an information war.
Cette histoire montre aussi en quoi la dimension médiatique d’un personnage ou d’un sujet peut troubler la justice (j’ai vu dans le live du Guardian quelqu’un se plaindre de ne pas pouvoir twitter en direct pendant l’audience, et ça me paraît d’une telle vacuité). J’ai de forts doutes sur la sérennité dont vont bénéficier tous les protagonistes de cette affaire en Suède.
Je voulais juste dire que je n’ai rien à redire quant à la forme et au fond de ce billet.
Ah si tout de même : chuis fier d’être pote avec son auteuze.
Le lien donné par Padawan m’effraie par l’aspect lynchage organisé contre A et W, des meutes d’internautes étant chargées de fouiller pour dénicher n’importe quoi pouvant leur nuire, entre rumeurs et délires complotistes. Et bien sur, si l’une ou l’autre effrayée par l’ampleur de la chasse aux sorcières dont elle font l’objet décidait de retirer sa plainte pour essayer de se mettre à l’abri, se sera tout de suite interprétée comme une preuve de l’innocence de leur gourou.
@Bladsurb c’est peut-être déjà le cas, il se murmure que l’une des plaignantes s’est volatilisée et ne collabore plus avec la justice suédoise. Pourquoi, ça on ne sait pas, mais elle a indiqué (sur son fil Twitter) avoir subi des pressions.
Ça aussi ça vaut la lecture : How AOL News Started The “Sex By Surprise” Lie.
Et un autre, pour le contraste : WikiLeaks ‘rape’ victims had hidden agendas … and I’ve seen the proof says Julian Assange’s lawyer.
Les journalistes feraient bien de se poser quelques questions sur leur rôle sociétal, leurs compétences et un truc suranné qu’on appelle l’éthique.