C’était hier. En retard, comme à mon habitude, pour les achats de cadeaux de Noël – et pourtant je n’en ai qu’un à faire cette année[1] – je suis entrée dans une toute petite boutique de foulards, chapeaux et babioles à prix raisonnables dans l’espoir de trouver une jolie et douillette et étole, objet de mes recherches.

C’est le genre de boutique où l’on sent que chaque objet offert à la vente a été choisi par le propriétaire, qui accueille chaleureusement la clientèle en la laissant fouiner deci-delà sans ingérence. Mon gaydar me signale rapidement que parfois le cliché aime-la-sape = gay peut se vérifier aisément. Après avoir tranquillement farfouillé, je préselectionne quelques articles et entame une discussion avec cet homme affable. Il est de bon conseil et je suis finalement son avis avisé. Tandis qu’il emballe joliment et soigneusement mon emplette avec papiers de soie frisottants, je ne sais comment nous en arrivons à parler de la situation politique et sociale actuelle.

Nous sommes d’accord sur tout.

Nous évoquons la situation explosive de l’appauvrissement qui grandit pour les uns tandis que de faramineuses richesses continuent de remplir les poches des autres. Nous nous scandalisons de ce « prêt » aux banques dont nous ne reverrons jamais la couleur tout pendant qu’on demande aux salariés de travailler plus, toujours plus et encore plus longtemps. Nous nous étonnons que finalement les gens restent si sages quand on comprendrait l’envie de tout péter. Nous nous effarons de l’ostensible mépris du gouvernement à toutes les protestations pourvu que les copains soient servis. Il maugrée aigrement que la prétendue ouverture d’esprit « pour nous les gays » n’est destinée qu’à capter des consommateurs flattés de plus. Il parle au fur et à mesure avec un peu plus de colère. Il me raconte qu’il a du mal à s’en sortir, que dans sa famille c’est la catastrophe et qu’il mesure sa chance de pouvoir au moins manger à sa faim et payer son loyer. Il me parle de son vieux voisin qui a froid. Il me dit que bientôt ils vont s’en prendre à la Sécu et que c’est dégueulasse. Il me parle même de la loi LOPPSI, ce qui m’épate vu que même là où je travaille ça ne dit rien à la plupart (et pourtant…).

Nous sommes d’accord sur tout, vous dis-je.

J’ai payé, le cadeau est emballé et je m’apprête à partir. Nous nous souhaitons de (malgré tout) joyeuses fêtes et faisons le vœu qu’en 2012 quelqu’un d’autre prendra les affaires du pays en main, quelqu’un de juste. Au moment où je franchis la porte, il me lance : « Allez, ils vivent leurs derniers beaux jours, vous inquiétez pas. Il y a la petite Marine qui monte, qui monte, là. Et elle a de qui tenir ! Elle va mater tout ça ! C’est la seule qui propose un autre monde ! »

Atterrée, je n’ai pas su quoi dire d’autre que « Ah non, c’est vraiment pas la bonne solution » avant de m’enfuir. La seule qui propose un autre monde ? Mais bon sang, où est la gauche ? Qui, pour porter notre colère ?

Notes

[1] Notre famille a instauré la formule chacun est le Père Noël d’un et un seul.