Dans le train Quimper–Paris, un dimanche de fin de vacances.

Quimper, gare. Deux jeunes filles se tiennent au bord du trottoir. L’une d’elle tient mollement le dos d’un billet de train au bout d’un avant-bras alangui. Sa copine : « Tu n’as pas écrit le nom trop petit ? » La porteuse de pancarte : « On s’en fout, on est les deux seules nanas à l’air ridicule avec une pancarte à la con à attendre une foutue bagnole ; il nous ratera pas. » La copine lève un sourcil d’admiration et hoche vigoureusement la tête devant cette logique implacable.

Voiture 12, juste en face de nous dans l’espace à quatre. Ils se sont retrouvés dans le train et ont décidé de voyager ensemble ; ça doit faire longtemps qu’ils ne se sont pas vus et déroulent les potins et informations en retard depuis leur dernière rencontre. Voyant que je me cale pour dormir contre mon compagnon de voyage, qui a mis ses écouteurs pour visionner un film, ils baissent le ton pour poursuivre leur dialogue. Le ronronnement continu des voix et le roulement régulier du train me bercent et me rappellent les délicieux couchers de mon enfance.

Vannes, sur le quai. J’ai ouvert un œil à la décélération et décidé de me dégourdir les jambes et fumer une cigarette avant de poursuivre mon coma bienheureux. Je mets ma parka puis hésite à sortir sur le seuil du wagon : il pleut à verse. Dehors, un homme d’une soixantaine d’années vêtu d’un petit pull tout fin se tient stoïquement sous la douche, clope au bec. Je fais une moue mi-admirative mi-réprobatrice. L’homme me lance un grand sourire gamin et m’explique : « J’ai déjà un cancer alors je tente la pneumonie » puis il éclate de rire ; je vois bien qu’il ne ment pas. Je suis cette fois mi-admirative mi-glacée d’effroi. Je retourne dans mon nid.

Voiture 12, de l’autre côté du couloir. Ils sont montés à Vannes et se sont installés puis ils ont sorti un, deux, trois gros bouquins, deux revues et un cahier. Tous concernent la grossesse, les bébés, etc. La femme a un joli bidon manifestement encore loin du terme mais qui ne peut laisser place au doute. Le sourcil froncé, ils parcourent les pages ; on sent qu’ils en sont à leur nième lecture. Ils commentent leurs inquiétudes. Elle : « Mais si on ne trouve pas cette lessive, il vaut mieux du savon de Marseille en paillettes ou rien ? » Lui : « Ils disent d’introduire des légumes frais bio mais ça va pas tomber la bonne saison, on ne va pas lui donner du chou-fleur, si ? » Elle : « On devrait tourner notre lit dans l’autre sens sinon le couffin ne tiendra pas à côté. » Lui : « Tu as raison, bonne idée ! » Ils se sourient : un problème réglé. A un moment, petit vent de panique : deux des ouvrages se contredisent si j’ai bien compris. Accablés ils notent la question sur le cahier déjà bien rempli : je m’imagine qu’ils consignent là toutes les difficiles questions en suspens à soumettre à un expert.

Voiture 12, juste en face de nous dans l’espace à quatre. Ils font moins attention à moi me croyant endormie. Je suis en réalité toute ouïe. Nantes–Paris suffit à peine à croiser les informations sur Christian et Nathalie. Christian a deux, oui deux maîtresses. Nathalie veut divorcer mais Christian n’y tient pas. Ben oui devine, la prestation compensatoire, il doit gagner pas loin de 8 000, plus la maison de Suresnes, celle de Quimper et celle de [Pas-Compris-Le-Nom]. Alors il a promis de lâcher l’une des deux maîtresses. Tu rigoles ? Non, je te jure. Bah oui mais laquelle, Amélie ou Julie ? Ah ça, tu penses bien que je n’ai pas demandé. Oui évidemment, c’est un peu délicat pouffe-t-elle. Pendant deux minutes ils se taisent, plongés dans leurs réflexions. Je pense qu’il lâchera Julie, reprend l’homme. Oui c’est ce que j’étais en train de penser aussi, répond la femme. Et moi j’enrage qu’ils ne justifient pas leur conclusions, que c’est frustrant !

Voiture 12, dans le couloir. Un enfant de deux ou trois ans s’amuse à aller et revenir d’un bout à l’autre du wagon. Le contrôleur procède à la vérification des billets et houspille le couple de l’autre côté de la travée : « Vous avez payé plein tarif et vous avez une carte Evasion, c’est ballot enfin !! » La femme rougirait presque de cette bévue, puis soulagée elle élucide : « Ah oui, je me souviens, il n’y avait plus de places à ce tarif à cet horaire. » « Bon bon, ça va pour cette fois dit le contrôleur, mais faites attention à ne pas vous laisser refiler des billets plein pot à chaque fois » « Oui, monsieur », promet l’homme en rangeant soigneusement les billets dans son portefeuille. « Et vous monsieur, tonne le contrôleur en se tournant vers l’enfant, vous avez votre billet ? » Le gamin clame : « Ouiiiiiiiiiiiiii ! » comme s’il était à Guignol, la mine si réjouie et la bouille si ronde que tout le wagon en est égayé. « Bravo, vous pouvez passer ! » lui accorde le contrôleur.

Paris, Montparnasse, ligne 6. J’avais oublié comme les quais du métro sont sales.