Entre mes quinze et vingt-cinq ans, je me suis beaucoup investie dans le militantisme, notamment le féminisme. Cette question et l’apparition du SIDA m’ont également fait m’intéresser aux mouvements de revendication des homosexuels. Sans quitter les convictions qui m’avaient portée, j’ai pris des distances avec ces groupes, peut-être un peu parce que je m’étais «rangée» mais surtout parce que nous dépensions bien plus d’énergie à nous battre entre nous qu’à faire avancer le schmilblick commun et que cela m’attristait beaucoup. J’ai donc continué à faire ma chieuse dans mon entourage personnel et professionnel (parfois ici) mais sans m’intéresser plus que ça à la vie des idées de celles et ceux qui étaient restées au front et les générations qui nous avaient succédé.

À la faveur de la sérendipité des liens de Twitter et de mes abonnements aux comptes de féministes actives ou de militants LGBT, j’ai découvert que les idées avaient continué à avancer sans moi (incroyable mais vrai). J’ai été tout d’abord larguée par tout un lexique nouveau, reflétant autant de préoccupations sinon nouvelles du moins au sujet desquelles la réflexion avait beaucoup plus progressé que là où j’en étais restée. Une fois ce champ un peu déblayé j’ai pu m’intéresser au fond des sujets que ces termes nouveaux recouvraient.

J’aimerais publier un lexique à l’usage des vieilles féministes qui étaient restées sous cloche – je le ferai peut-être dans un autre billet – mais je vais me contenter aujourd’hui d’aborder le sujet qui fait beaucoup parler de lui en ce moment : le genre et son (ses) étude(s). Il n’est pas question ici de refaire les explications que d’autres que moi font bien mieux et bien plus complètement que je ne pourrais le faire. Je n’ai pas non plus l’intention d’évoquer les controverses, les hostilités et les peurs que cette question engendre. Ma seule prétention est d’exprimer, ne serait-ce que pour les poser en mots, les réflexions qui sont nées de mes lectures récentes.

À mes yeux l’intérêt de ces études n’est pas d’aboutir à des théories ou des préceptes mais de se donner la liberté de se poser des questions au-delà de ce qui nous semble aller de soi, quitte à laisser des réponses en suspends, pour plus tard ou pour jamais. C’est ce que dit très bien la baseline de « Ça fait genre » : je m’interroge, tu t’interroges, interrogez-vous.

Il y a environ un milliard de questions qu’on peut se poser une fois qu’on s’en est donné l’autorisation. Dans la continuité de mes lectures anciennes, et aussi parce que je suis la mère d’un garçon et d’une fille, celle à laquelle j’ai accédé le plus rapidement est le poids de l’éducation donnée aux petites filles et aux petits garçons, habillement et jouets inclus, dans la construction du « féminin » et du « masculin » (du… genre quoi) en fonction du sexe. Je me suis dit que ce poids était si fort, si précoce, que je ne sais même pas si on a le moyen de faire la part entre l’injonction et un éventuel naturel, s’il existe. Mon avis est qu’il n’existe pas mais en réalité (je m’interroge, tu t’interroges, interrogez-vous) nous n’avons que peu de moyens d’espérer le savoir puisque tout est fait, dès la naissance, pour qu’on sache qu’il existe une différence et qu’on se conforme à ce qui est attendu en fonction de notre sexe.

Une fois cette différence opérée par le monde extérieur[1], ça va très vite pour que l’enfant, puis l’adulte, intériorise et reproduise ce marquage pour répondre à ce qu’on attend de lui ou ce qu’il croit qu’on en attend, ce qui revient au même.

Je n’ai pas envie de faire un très long billet, je préfère en faire un autre ou plusieurs plus tard tant la matière est riche, mais je vous laisse avec cette petite vidéo. Ah en fait non, pas de vidéo parce que je ne la retrouve pas mais si quelqu’un met la main dessus… Donc je décris :

On donne à deux groupes d’enfants une feuille de papier sur laquelle figure déjà un triangle aplati noir. On demande au premier groupe de « compléter ce dessin correctement ». À l’autre groupe, on demande simplement de « compléter ce dessin ». La presque totalité des enfants du premier groupe réutilise le triangle en toit de maison. Aucun enfant ne dessine une maison dans le second groupe, qui présente des dessins très inventifs et complètement différents les uns des autres. Dans le premier groupe le maximum de couleurs utilisées est trois, dans le second groupe la moyenne est de cinq couleurs différentes. La maison est une figure de dessin très souvent utilisée dans le travail avec les jeunes enfants. Lorsqu’on leur a demandé “la bonne réponse” ils se sont conformés à ce qu’ils pensaient qu’on attendait d’eux.

Cette vidéo, vue pendant le fil de mes lectures d’études de genre, m’a beaucoup frappée. Je crois que la conformité au genre en fonction du sexe est le triangle aplati noir sur notre feuille de papier.

[Ajout du 29 juin : La vidéo : When there is a correct answer exercise in creative thinking.[2] Merci à Xave l’archiviste !

Notes

[1] Et si elle était naturelle, a minima surmultipliée par le monde extérieur.

[2] Info utile : il n’y a pas de voix off ou d’interview, aussi cette vidéo peut être comprise même si vous ne comprenez pas l’anglais ou êtes sourd.