Génèse

Sur mon lieu de travail l’autre jour, j’ai été frappée par la méconnaissance du phénomène par mes collègues masculins. Je racontais que ma fille, qui vit depuis deux mois à Londres, disait à quel point c’était nettement plus tranquille pour une jeune fille seule de se balader à Londres qu’à Paris, même le soir tard. Plusieurs choses m’ont frappée au fil de la discussion qui s’en est suivie.

La première c’était qu’ils pensent que ça provient quasi exclusivement de la part de, disons-le pudiquement, « jeunes de banlieue ». La deuxième était qu’ils estiment tous que c’est très lié à la façon dont est habillée la victime, son attitude et son apparence physique (jolie vs. moche). La troisième était qu’à leur avis, grosso modo il suffit d’éviter de se balader seule à la nuit tombée dans des quartiers « qui craignent ». La quatrième, c’est que pour eux « Mademoiselle, t’es charmante » n’est pas tout à fait du harcèlement (mais s’en approche) et que « Vous êtes ravissante, mademoiselle » n’en est pas du tout. Les deux sont des compliments, provenant de personnes plus ou moins bien éduquées.

Incise. Tiens au fait, les modalités changent d’une génération à l’autre non ? Je n’entends presque plus de femmes se plaindre qu’on les siffle alors que c’était la modalité la plus fréquente de la génération de ma mère et une pratique encore assez répandue à la mienne.

Ce qui m’a peut-être le plus frappée c’est qu’en argumentant sur Londres vs. Paris ils jugeaient que deux mois est un délai trop court pour en juger. Ce que sous-tendait cet argument c’est qu’ils ne voyaient pas à quel point ne se faire aborder qu’une fois en deux mois était très, mais vraiment très très, éloigné des plusieurs fois par semaine voire par jour qu’elle connaît à Paris.

Mon « enquête »

J’ai eu du coup la curiosité avant-hier de poser la question sur Twitter aux hommes de ma TL[1].

Au passage, l’expression harcèlement de rue est assez récente – je n’en connais ni la date d’apparition ni l’origine. On y a peut-être gagné en précision/qualification mais ça me semble du coup plus difficile de s’entendre sur ce dont on parle (?) ou en tout cas pas sans prendre le temps de l’expliquer. Je ne sais pas ce que mes répondants englobaient dans ce terme.

J’ai reçu une trentaine de réponses. Vous pouvez les visualiser en cliquant sur le lien ci-dessus ou sur celui-ci. Il faut y ajouter aussi quelques autres non directement rattachées à ce tweet originel. Compte tenu de l’endogamie, les hommes de ma « twittosphère » sont a priori plutôt des personnes sensibilisées sur les questions féministes, surtout s’ils ont fait l’effort de répondre. Je ne cherche pas à en tirer quelconque règle générale mais je partage avec vous les réponses reçues.

Je ne connais pas les chiffres réels. A ma connaissance il n’existe que deux études officielles sur la question, celle de l’ENVFF en 2000 et celle de l’INSEE en 2007. Toutes deux portaient sur les violences faites aux femmes. À la lecture du cadre général de ces enquêtes et à la formulation des questions, je ne suis pas sûre que les « Mademoiselle t’es charmante » ou « Fais-moi un sourire », pas plus que la violence générée par l’accumulation des « compliments » et des regards concupiscents soient pris en compte. J’aimerais qu’une enquête demande par exemple aux femmes si elles mettent en place des stratégies d’évitement dans les lieux publics : ne pas croiser les regards, faire toujours mine d’être plongées dans un livre/téléphone, ne jamais se retourner si elles sont hélées, etc.

Et si vous nous demandiez ?

Ce qui m’apparaît au sortir de cette mini-enquête et de la discussion avec mes collègues c’est que ce que les hommes peuvent faire pour aider à lutter contre ce fléau c’est d’en parler autour d’eux.

D’abord en demandant aux femmes qui vous entourent de vous dire quand, où, à quelle fréquence, d’une part parce que c’est sans doute le moyen le plus direct de prendre conscience de l’ampleur du problème, des répercussions qu’elles ont sur notre liberté de déplacement, d’autre part parce que vous montrerez ainsi aux femmes qui sont proches de vous que vous vous sentez concerné par ça, que ça ne vous semble pas juste une fatalité à gérer au mieux.

Ensuite en en parlant aux autres hommes dès que l’occasion s’en présente. Pour faire connaître ce que vous savez, pour empêcher la minimisation, pour faire comprendre que le vingtième « vous êtes charmante, mademoiselle », c’est aussi ça qui constitue le harcèlement.

… et éduquez vos garçons !

Note

[1] TL: sigle de timeline, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui sont abonnées à mon compte.