Harcèlement de rue : qu'en savent les hommes ?
Par Kozlika le dimanche 12 octobre 2014, 13:17 - Lien permanent
Génèse
Sur mon lieu de travail l’autre jour, j’ai été frappée par la méconnaissance du phénomène par mes collègues masculins. Je racontais que ma fille, qui vit depuis deux mois à Londres, disait à quel point c’était nettement plus tranquille pour une jeune fille seule de se balader à Londres qu’à Paris, même le soir tard. Plusieurs choses m’ont frappée au fil de la discussion qui s’en est suivie.
La première c’était qu’ils pensent que ça provient quasi exclusivement de la part de, disons-le pudiquement, « jeunes de banlieue ». La deuxième était qu’ils estiment tous que c’est très lié à la façon dont est habillée la victime, son attitude et son apparence physique (jolie vs. moche). La troisième était qu’à leur avis, grosso modo il suffit d’éviter de se balader seule à la nuit tombée dans des quartiers « qui craignent ». La quatrième, c’est que pour eux « Mademoiselle, t’es charmante » n’est pas tout à fait du harcèlement (mais s’en approche) et que « Vous êtes ravissante, mademoiselle » n’en est pas du tout. Les deux sont des compliments, provenant de personnes plus ou moins bien éduquées.
Incise. Tiens au fait, les modalités changent d’une génération à l’autre non ? Je n’entends presque plus de femmes se plaindre qu’on les siffle alors que c’était la modalité la plus fréquente de la génération de ma mère et une pratique encore assez répandue à la mienne.
Ce qui m’a peut-être le plus frappée c’est qu’en argumentant sur Londres vs. Paris ils jugeaient que deux mois est un délai trop court pour en juger. Ce que sous-tendait cet argument c’est qu’ils ne voyaient pas à quel point ne se faire aborder qu’une fois en deux mois était très, mais vraiment très très, éloigné des plusieurs fois par semaine voire par jour qu’elle connaît à Paris.
Mon « enquête »
J’ai eu du coup la curiosité avant-hier de poser la question sur Twitter aux hommes de ma TL[1].
Tiens, les hommes de ma TL : à votre avis une jeune femme est harcelée dans la rue à quelle fréquence ? Vous diriez quoi ?
— Kozlika (@Kozlika) 10 Octobre 2014
Au passage, l’expression harcèlement de rue est assez récente – je n’en connais ni la date d’apparition ni l’origine. On y a peut-être gagné en précision/qualification mais ça me semble du coup plus difficile de s’entendre sur ce dont on parle (?) ou en tout cas pas sans prendre le temps de l’expliquer. Je ne sais pas ce que mes répondants englobaient dans ce terme.
J’ai reçu une trentaine de réponses. Vous pouvez les visualiser en cliquant sur le lien ci-dessus ou sur celui-ci. Il faut y ajouter aussi quelques autres non directement rattachées à ce tweet originel. Compte tenu de l’endogamie, les hommes de ma « twittosphère » sont a priori plutôt des personnes sensibilisées sur les questions féministes, surtout s’ils ont fait l’effort de répondre. Je ne cherche pas à en tirer quelconque règle générale mais je partage avec vous les réponses reçues.
Je ne connais pas les chiffres réels. A ma connaissance il n’existe que deux études officielles sur la question, celle de l’ENVFF en 2000 et celle de l’INSEE en 2007. Toutes deux portaient sur les violences faites aux femmes. À la lecture du cadre général de ces enquêtes et à la formulation des questions, je ne suis pas sûre que les « Mademoiselle t’es charmante » ou « Fais-moi un sourire », pas plus que la violence générée par l’accumulation des « compliments » et des regards concupiscents soient pris en compte. J’aimerais qu’une enquête demande par exemple aux femmes si elles mettent en place des stratégies d’évitement dans les lieux publics : ne pas croiser les regards, faire toujours mine d’être plongées dans un livre/téléphone, ne jamais se retourner si elles sont hélées, etc.
Et si vous nous demandiez ?
Ce qui m’apparaît au sortir de cette mini-enquête et de la discussion avec mes collègues c’est que ce que les hommes peuvent faire pour aider à lutter contre ce fléau c’est d’en parler autour d’eux.
D’abord en demandant aux femmes qui vous entourent de vous dire quand, où, à quelle fréquence, d’une part parce que c’est sans doute le moyen le plus direct de prendre conscience de l’ampleur du problème, des répercussions qu’elles ont sur notre liberté de déplacement, d’autre part parce que vous montrerez ainsi aux femmes qui sont proches de vous que vous vous sentez concerné par ça, que ça ne vous semble pas juste une fatalité à gérer au mieux.
Ensuite en en parlant aux autres hommes dès que l’occasion s’en présente. Pour faire connaître ce que vous savez, pour empêcher la minimisation, pour faire comprendre que le vingtième « vous êtes charmante, mademoiselle », c’est aussi ça qui constitue le harcèlement.
… et éduquez vos garçons !
Note
[1] TL: sigle de timeline, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui sont abonnées à mon compte.
Commentaires
Oui, j’ai failli te dire sur le coup que le fait d’employer “harcelée” dans ton tweet risquait de réduire le nombre de réponse “qui tombent juste”. Mais je me suis dit qu’effectivement, c’était intéressant de voir comment les gens catégorisent les fiats.
Autre question corollaire à poser “A quel âge pensez-vous que ça commence?” (Pour ma part, j’avais 12 ans).
Il n’y a pas que tes collègues masculins qui pensent ça, mais la plupart des gens. Moi par exemple, je n’avais jamais entendu parler de femmes harcelées avant que Twitter n’amène ce sujet.
En y réfléchissant et en demandant autour de moi, j’ai découvert que ce phénomène existe pourtant bel et bien (peut-être quand même moins qu’à Paris) et surtout j’ai compris que c’était très violent, très traumatisant de subir ça.
L’expression “harcèlement de rue” : pour moi elle évoque des remarques grossières, insistantes, déplacées voire des gestes : quelque chose qui tombe sous le coup de la loi.
Du coup, “Mademoiselle vous êtes charmante” : je ne peux pas arriver à considérer que c’est du harcèlement, même si c’est lourdingue à la vingtième fois. Je ne peux pas mettre ça dans la même rubrique qu’une main aux fesses ou des insultes “salope suce-moi”.
Enfin, qu’est-ce qu’on peut faire, concrètement ? l’autre jour, j’ai été témoin d’une scène de harcèlement par des jeunes de ma cité (désolée pour le cliché). Une jeune fille passait devant eux, les écouteurs aux oreilles et sans leur adresser la moindre invitation à entrer en contact avec elle. Ils se sont mis à l’apostropher : “eh meuf, tu pourrais nous regarder, eh meuf” et comme elle ne répondait pas : “salope, grosse pute…” J’ai croisé la jeune fille qui avançait imperturbablement et je suis arrivée au niveau du groupe de gars. Je les ai dévisagés et j’ai eu envie de les engueuler, mais je ne l’ai pas fait. J’ai eu peur, à vrai dire. Ils avaient l’air à l’ouest, défoncés mais ils ont bien soutenu mon regard, style : “et alors, quoi, on fait ce qu’on veut”.
Je suis sûre qu’il y a quelque chose à faire de l’ordre de la citoyenneté quotidienne, mais je cherche quoi.
La fille d’un amie, 21 ans, qui est partis 1 an à Londres est revenus avec le même constat. Elle est du genre à s’habiller plutôt sexy et elle me disait qu’à Londres elle pouvait se balader tranquille quelques soit l’heure. Les deux seul fois où elle à été importuné, c’était par un Français de passage et un Italien !
À Paris il ne se passe quasi pas un jour sans qu’on lui fasse des proposition/remarque…
Samantdi : oui, en parler en classe, par exemple, pour faire comprendre aux garçons qui n’auraient pas été éduqués à respecter les filles / femmzs ce qu’ils font subir, aux jeunes filles qu’elles ont le droit de ne pas être flattées par ces “compliment” ou d’avoir besoin de l’approbation du mâle alpha quand elle sort.
Ta TL est très sensibilisée, Kozlika, de ce que j’ai vu de leurs réponses hier !
Je connais plein de types qui sous prétexte qu’ils participent à la tenue de la maison / des gamins se sentent pro égalité H/F et qui oour autant ne “voient pas le problème”. Soupir.
Il y avait également eu ce post de blog il y a quelques temps, sur le harcèlement de rue, et les préjugés de race / de classe :
Du caractère polymorphe et multicolore du relou en milieu urbain, un bon complément IMHO à ton billet__
ydikoi oui je me souviens de cet article en effet. J’avais mis de côté quelques liens que j’ai oublié de réinsérer dans le billet :
Samantdi : sur ce qu’on peut qualifier de harcèlement ou non, je dirais – pour simplifier – qu’il faut ici distinguer harceleur et harcèlement. L’homme qui te dit dans la rue quand tu le croises « Mademoiselle vous êtes charmante » n’est peut-être pas un harceleur (en admettant qu’il n’ait pas conscience une seule seconde que ça peut être anxyogène, ce que je trouve déjà étrange mébon). En revanche, du point de vue de celle qui entend ça, non seulement il y a l’effet d’accumulation mais aussi, et ton exemple le montre bien, que tu ne sais absolument pas ce qui va se passer. Si tu réponds d’un sourire ou d’un merci : le gars essaiera-t-il plus loin selon le principe du pied dans la porte ? Si tu ne réponds pas, t’insultera-t-il en retour car tu n’es pas reconnaissante ? Pour moi être ainsi placée en situation d’inconfort relève bien du harcèlement. Et ça n’empêche pas qu’on ne mette pas tous les harcèlements/violences sur le même plan.
Sacrip’Anne : oui, c’est toujours le problème des axes principaux et secondaires, sans voir que tout cela relève d’un système global : l’équité des salaires, la répartition des tâches ménagères, le partage de l’espace public, l’éducation (j’en passe)… et la grammaire !
Mlle Moi : sur l’âge de départ oui je me souviens il y a quelques mois il y avait eu des échanges sur Twitter sur les « première fois » âge, lieu, mots prononcés. C’était très intéressant.
Gilsoub : tiens du coup je me souviens du lamentable commentaire d’une Première Ministre au sujet des Anglais et du pourquoi ils font moins chier dans la rue, tu te souviens ?
Qui ne s’en souvient pas ? D’un autre coté elle a aussi dit qu’elle en avait rien à battre de la bourse, de là à chercher un rapport de cause à effet ;-)
Au sujet de “vous êtes charmante mademoiselle”, ta réponse correspond parfaitement à ce que me disait E. avec qui j’en parlais à midi. Elle rajoutait qu’on n’a pas forcément envie d’être abordée par un inconnu sur “ce que l’on est et l’effet qu’on lui fait” et j’en conviens.
E. pense aussi qu’un gars qui toute la journée interpelle comme ça des filles dans la rue peut-être qualifiée de “harceleur”.
Donc vous m’avez convaincue… mais je reste embêtée par le fait de mettre ça au même niveau que des insultes ou des gestes.
À la lecture de cet article, des quelques liens cités en commentaires, et de pas mal d’autres choses sur le sujet (Sexactu en parle pas mal depuis longtemps, le Projet Crocodiles, pas mal d’articles de blogueuses y ayant amené leurs opinions, etc.), j’ai toujours du mal avec ce concept et ses implications.
En préambule, précisons que je demeure dans une ville de province de taille moyenne où le phénomène ne semble pas très présent (ou en tout cas pas dans les endroits que je fréquente), à part peut-être les soirs où l’alcool imbibe le centre-ville et ses soirées étudiantes.
Je suis bien entendu totalement d’accord sur le fait qu’il faut condamner fermement les cas extrêmes (insultes, pelotage, filature…). Chères femmes anonymement pelotées dans la foule, ceci n’est pas du harcèlement, fut-il « de rue ». Ceci est une agression sexuelle, c’était puni par la loi bien avant que l’expression « harcèlement de rue » n’ait été ne serait-ce qu’imaginée.
Il est également assez paradoxal de lire d’un côté que le harcèlement de rue touche toutes les femmes ou presque sans réels critères « esthétiques », et des témoignages de femmes qui « s’enlaidissent » volontairement pour y échapper. Alors, universel ou pas ? Une tenue jugée provocante semble en tout cas avoir une nette incidence sur l’occurrence de la chose.
La tenue vestimentaire, ce vaste débat ! Sans aller jusqu’à se mettre en scène à chaque excursion dans l’espace public, ne va-t-il pas de soi que se trouver dans un lieu public quel qu’il soit nous fera immanquablement passer sous le regards d’inconnus ? En conséquence, n’est-il pas normal que nous choisissions notre façon de nous présenter en conséquence ?
Je suis donc plus que dubitatif sur certains passages (l’article de La Rep’ notamment) qui voudraient faire de moi un sale misogyne cherchant à perpétuer le grand vilain patriarcat sous prétexte que mon regard se promène parfois (je ne suis qu’un homme) sur le corps de mes congénères.
Il ne me viendrait pas à l’idée de m’habiller « sexy » (oui, nous aussi on peut, et nous aussi ça nous attire des regards, je vous ai vu bande de misandres à la solde du matriarcat !) un jour d’humeur maussade où mon moral ne me permettrait pas de supporter le regard d’autrui ainsi attiré. Ces jours là, c’est jean/t-shirt.
L’attirance, qu’elle soit sexuelle ou simplement esthétique (l’éternelle opposition mignonne/sexy, si vous voulez un débat dans le débat c’est cadeau, je ne fais pas de différence personnellement) pour un individu du sexe opposé (ou toute autre combinaison, amis LGBT) a-t-elle réellement quelque chose à voir avec l’égalité des sexes ? Le féminisme doit-il aller jusqu’à vouloir apprendre aux hommes à quel endroit ils doivent poser leur regard ?
Le problème serait-il simplement qu’un vêtement que la femme ne verrait que comme confortable (je porte rarement la jupe/robe et espère ne jamais avoir de décolleté à exhiber, c’est généralement plutôt mal vu chez les hommes, je trouve ça sexiste d’ailleurs, et je vous crois donc sur parole) aurait été diaboliquement sexualisé par un sexisme latent émanant d’un patriarcat sur le déclin cherchant à se redonner un peu d’assurance ? La femme serait-elle si naïve ? Je n’ose y croire.
Où se trouve réellement la limite à ne pas franchir, celle qui fait passer de mec tentant une approche de séduction et harceleur de rue une fois qu’on a éliminé les cas extrêmes ? Ne sont-ce pas ces extrêmes et uniquement ceux-ci qu’il convient de combattre fermement afin de donner (à nouveau ?) aux prétendants maladroits la possibilité de se faire rembarrer en paix sans a) effrayer la femme concernée et b) se faire cataloguer « harceleur de rue » sans autre forme de procès ?
Le prétendant serait ici un poète égaré qui se serait senti littéralement envouté par la beauté d’une passante en particulier bien sûr, pas une bande de relous passés semi-pros qui hèle toutes les femmes avec la même réplique. Le prétendant pourrait aussi être une prétendante et la la passante, un passant. Ou toute autres combinaison de sexes possible d’ailleurs.
Est-ce que, sans les extrêmes et les semi-pros, la femme serait mieux disposée face à l’inconnu tentant une approche ? Tout cela ne serait-il que l’application par ces dames de la sagesse ancestrale, celle avec un chat et de l’eau à température variable ?
Parce que quand je lis que la femme n’est pas dans la rue pour se faire aborder, qu’il faudrait ne pas y rester tard, ne pas y laisser ses enfants sans surveillance, j’y vois le triste basculement de la rue comme lieu de vie à la rue comme simple “sas” permettant de se rendre (le plus rapidement possible et sans contact avec autrui, surtout pas l’inconnu porteur de tous les maux) d’un lieu à un autre. Et je trouve cela triste.
Femmes, je vous aime, et j’aimerais vraiment comprendre le fond du problème et toutes mes lectures sur le sujet ne m’ont pas permit de le faire jusqu’à présent, que ce soit à cause de ma jeunesse relative ou du fait que je sois sexuellement programmé pour être un connard. C’est la première fois que je livre mes impressions sur le sujet puisque je me sais ici chez quelqu’un de bien où je trouverais peut-être l’illumination.
Je ne demande vraiment qu’à être convaincu !
« Parce que quand je lis que la femme n’est pas dans la rue pour se faire aborder, qu’il faudrait ne pas y rester tard, ne pas y laisser ses enfants sans surveillance, j’y vois le triste basculement de la rue comme lieu de vie à la rue comme simple “sas” permettant de se rendre (le plus rapidement possible et sans contact avec autrui, surtout pas l’inconnu porteur de tous les maux) d’un lieu à un autre. Et je trouve cela triste. » (saymonz)
J’ai un peu la même crainte à ce sujet.
Et je me demande également si un regard (quelque soit l’endroit où il est porté) est considéré comme un harcèlement ?
Mettons que ce soit le cas, alors faut-il séparer physiquement les femmes des hommes, comme certaines religions l’imposent (en usant de moyens différents) ?
Je pose ces questions parce que depuis quelques temps (disons quelques années), je n’ose plus regarder une femme ailleurs que droit dans les yeux, et encore, et je me surprends de plus en plus à marcher le nez fixé sur mes chaussures, de peur que faire autrement soit pris pour un harcèlement, ce qui est un comble quand on sait que j’adore faire de la photo.
Comme Saymonz et Franck je crains « le triste basculement de la rue comme lieu de vie à la rue comme simple “sas” permettant de se rendre (le plus rapidement possible et sans contact avec autrui, surtout pas l’inconnu porteur de tous les maux) d’un lieu à un autre. Et je trouve cela triste. »
Moi qui suis une pipelette des rues, qui aime tchatcher aux arrêts de bus et entrer en contact dès que je peux avec les autres, je suis heureuse qu’il y ait encore plein de vieux et de vieilles prêts à le faire volontiers. Et je mets un point d’honneur à toujours dire au moins “bonjour” aux jeunes de ma cité que je croise, voire un ou deux mots (et dans une grande majorité, ils me répondent poliment, même un peu étonnés qu’une vieille leur adresse la parole)
Si tout le monde babillait un peu dans les rues, les harceleurs seraient remis à leur place. Alors que dans le silence des écouteurs sur les oreilles, leurs insultes et leur violence semblent ne pas trouver de limites.
Je reviendrai plus tard sur vos commentaires (là je bosse) mais vous croyez vraiment que les “phrases d’abordage” (lissées ou non) et la civilité, la gentillesse sont indiscernables ? (Vous m’effrayez)
Kozlika est-ce que n’importe quelle femme prendrait une hypothétique demande d’heure de ma part (ou n’importe quoi d’autre d’utile, chemin, avis sur un bouquin en cours de lecture, …) pour ce qu’elle est vraiment ? Franchement j’en doute.
À partir de là je ne vois qu’une solution pérenne : ne plus adresser la parole aux femmes. Et là commence la ségrégation, la séparation, celle-la même qu’on pourrait critiquer dans certaines cultures ou religions.
Bien sûr mes propos ici ne reflètent que ma propre perception et je n’ai aucune expérience de ce que peut être le harcèlement vécu par les femmes dans l’espace public.
Non, pas de façon incontestable. J’ai le sentiment que ça dépend de chaque personne abordée (éducation, culture, histoire, …).
Tiens la question de Franck sur le regard est intéressante aussi, c’est vrai qu’un de mes petit jeux dans les transport en commun, dans la rue, bref dans les lieux public est d’essayer par un regard et un sourire de décrocher un sourire de la part de charmantes inconnues. Quand j’y réussie, je suis content, je compte les point et cela s’arrête là, souvent il n’y a aucune réaction (je n’insiste pas non plus lourdement) des rares fois, une sale gueule.
Alors amusement de ma part parce que je préfère voir les gens sourire que faire la gueule, mais qu’en est iode la perception d’autrui ? harcèlement ou pas ?
Merci Koz pour cette démarche intelligente (comme d’hab). :) J’ai eu les exactes mêmes retours d’amies parties au Canada et à Londres.
Je parle facilement aux gens dans la rue. Je suis très poli, ma maman m’a bien élevé. Mais on ne parle pas de ça ici. C’est AMHA ce tromper de cible que d’accuser les “incivilités”.
Perso, en tant que mec homo, je me suis rendu compte que l’espace public n’était pas le mien. C’est un espace public masculin hétérosexuel. Pour les homos (à défaut de “passer” pour hétéro ou de ne pas être avec son chéri), c’est un champ de mines (“Est-ce que ce groupe va me faire chier?” “est-ce que ce mec me suit?” etc). Et j’ai compris que pour les femmes, c’est encore pire. Si je me fais emmerder, disons, une fois par mois dernièrement, et que ça me rends complètement dingue, qu’est-ce que ça doit être pour les femmes, qui ont des commentaires, négatifs ou positifs, dès leur présence dans l’espace public masculin.
On ne peut pas faire abstraction de la position de chacun: Je n’oublie jamais que je suis un homme inconnu quand je parle à une femme et que donc, j’ai plus de facilité à me déplacer dans l’espace public. Je ne vais pas accuser les victimes même de cet harcèlement de faire un amalgame entre moi et un danger potentiel. I suck it up et je change de trottoir si je me retrouve derrière une femme seule dans la rue la nuit. C’est ma solidarité.
Le problème, et la question derrière tout ça, c’est: Est-ce qu’on est d’accord pour que les êtres humains de genre féminin bénéficie des mêmes libertés de circulations que ceux de genre masculin ? Est-ce qu’on trouve normal qu’une femme ne puisse pas sortir de chez elle sans que ce soit commenté et approprié par le regard des mecs? Et surtout, qu’est-ce que je peux changer, dans mon attitude de mec, pour que ça change? (Je crois très fort aux dominos dans ce cas.)
Je rejoins le Roncier : c’est une question d’à qui appartient l’espace public, ou plus exactement à qui les dominants veulent qu’il appartiennent. Marcher, quand on est un mec, derrière une femme seule dans la rue, c’est encore moins agressif dans l’intention qu’un “bonjour, mademoiselle, je vous trouve charmante”, mais c’est vécu comme une agression quand on ne fait pas partie du groupe des dominants et qu’on craint à chaque moment de subir une agression.
Dire “mais si on ne se parle plus dans la rue, alors c’est faire le jeu de la ségrégation”, c’est prendre le problème à l’envers : la disparition de la convivialité est un effet de la ségrégation, pas l’inverse.
voilà, le roncier a raison. La confiscation de l’espace public est faite par certains au détriment d’autres. Prétendre que les nanas n’ont qu’à s’invisibiliser (voire plus ignoble : dire que ça a quand même à voir avec leur tenue, alors que non, ni avec leur apparence ou leur âge), c’est indiquer que les femmes n’ont pas le même droit que les hommes à circuler librement.
OUI, des femmes changent leur attitude dans l’espace public pour essayer d’être moins harcelées. elles ne s’enlaidissent pas, elles essayent de devenir invisibles. Sauf qu’il est impossible de gagner à ce jeu, et elles ne devraient JAMAIS avoir à y jouer.
dans les commentaires qui s’inquiètent de ce que la rue deviennent un espace vide, je ne lis pas la mention de l’éducation. Cessons d’apprendre aux femmes comment ne pas être harcelées, ce qu’elles doivent supporter ou non pour que l’ambiance de la rue reste la même. => Apprenons aux hommes quand ce qu’ils font est un harcèlement et comment ne pas le faire subir aux autres. Ce ne sont pas les invités offensés qui gâchent la fête, c’est le fêtard qui braille et les gêne qui est responsable.
je n’ai aucun problème avec la civilité des gens. je papote parfois, je me fais aborder pour papoter souvent. je fais bien (comme la plupart des femmes) la différence entre un abord civil et courtois qui se préoccupe de mon consentement à échanger, et avec un abord consommateur qui ne vise qu’à me dominer dans l’espace public.
“excusez moi, pouvez vous me dire l’heure” => je ne suis pas harcelée.
“bonjour :) , dingue toutes ces unes de journaux sur tel sujet, non ?”=> je ne suis pas harcelée.
“haha c’est amusant on se croise souvent dans ce magasin :) ” => je ne suis pas harcelée. Peut être que le gars veut me draguer. C’est quelque chose de bien différent du harcèlement de rue, justement en cela que la drague se préoccupe de séduire l’autre, donc d’acquérir son consentement !
si le mec alors que je regarde ma montre me place vite un “hey vous êtes charmante”, ou “jolis yeux” ou “t’as un bon gros popotin toi” ou “t’as l’air gourmande, hey tu sucerais ma bite grosse salope ?” => je suis harcelée. je le suis parce qu’on m’impose un avis sur mon corps et qu’on se croit en droit de rentrer dans mon espace personnel pour me le faire subir, sans se préoccuper de mes souhaits. ça inclus les deux premiers qui semblent être des compliments, et n’en sont pourtant pas.
oui, j’ai déjà eu droit à tous ces exemples. j’y ai droit quasi à chaque fois que je sors. Si c’est tous les jours que je sors, j’y ai droit tous les jours, et je vis dans une ville de 40 000 h (valenciennes). Je suis une femme très grosse, plus franchement jeune, qui s’habille en jupe jusqu’au sol et sans spécialement de décolletés. ça ne change rien.
Un mec qui voudra dominer quelqu’un dans l’espace public me tancera comme il tancera n’importe quelle autre être qu’il considère inférieur à lui : mec pas assez viril, ayant des gestes qui le désignent comme homosexuel (tenir la main de son mec, par exemple), ou toute femme y compris non cisgenre. Nous tancer le rassure, il pense trouver ainsi une place supérieure, à ses yeux ou aux yeux de ses potes.
la civilité entre habitants d’une même ville, la drague dans les lieux publics, tout ça n’a RIEN à voir avec la problématique du harcèlement de rue, et ça m’effraie que les gens ne voient pas la différence (et la problématique du consentement en découlant) qu’il y a entre les deux.
Un harceleur ne cherche pas à séduire l’autre, il cherche à humilier, dominer verbalement, se poser en arbitre qui distribue des validations d’apparence, en consommateur averti. C’est entre autre pourquoi ils persistent tous à faire cela alors que JAMAIS une femme ne leur a répondu “sucer ta bite ? ouais, ça me tente trop, là. on va chez toi ?” . Il est grand temps que les hommes apprennent à ne plus chercher à phagocyter l’espace public de cette façon, justement pour que civilités et drague reprennent leur place.
(enfin je dis reprennent… mais il y a un texte qui circule et qui date de 1900 environ, avec les mêmes problématiques de domination dans l’espace public et de harcèlement des femmes. Je le posterai si je le retrouve).
J’suis d’ac, mais comment ?
J’éduque mon fiston — il a 15 ans — autant que faire se peut dans cette optique là, mais c’est mon fiston et j’ai encore un poil de choses à lui apprendre et qu’il écoute encore (enfin j’espère). Avec les “zyvas à capuche” je doute d’avoir le moindre effet sur leur comportement en leur disant ma façon de penser, mais peut-être me trompè-je ?
Manque d’aplomb ou de biceps — parce que oui ça virera rapidement à ça je suppose vu qu’ils sont en permanence dans un rapport de force avec autrui —, peu importe, ça me rend mal à l’aise. Tout autant d’ailleurs que de me faire cataloguer “dominant” alors que c’est à mille lieues de ce qui je suis. Et pourtant je suis bien conscient qu’il faudrait se réapproprier cet espace public — et en virer les autres manu militari ?
En même temps, j’suis mal placé pour causer de ça vu que je n’ai jamais “dragué” dans la rue, vu de chez moi hein ? Parce que si ça se trouve, la dernière fois où j’ai demandé mon chemin, ça a peut-être pu être considéré ainsi. C’est là que j’ai une réelle interrogation, celle qui vous effraie kozlika et krysalia.
Faudrait peut-être mettre des cours de drague (respectueuse) au programme scolaire finalement ?
Merci de nous donner toutes ces leçons de savoir bien penser comme il faut.
Pour ma part, ça clot ma participation à ce fil de discussion.
Franck (et Gilsoub et Saymonz) “dominant” est un état de fait, objectif, dans une société inégalitaire, elle ne traduit pas un trait de caractère. Tu n’es pas dominateur, certes, mais ta position sociale, politique, publique est dominante. Tu es un dominant. Privilégié si tu préfères, même si ça ne recoupe pas tout à fait la même chose (mais je sais que ce terme là tu en comprends le sens et la portée).
Le profil du dominant ici et maintenant… c’est toi : tu es blanc, propre sur toi, tu n’es pas vêtu de haillons, tu n’es ni un enfant ni un faible vieillard, pas handicapé et tu es un homme. Il t’est d’autant plus difficile d’imaginer ce qu’est la rue pour - pour rester dans le contexte du billet - une femme. Objectivement, la rue t’appartient. C’est normal que tu aies des difficultés à l’imaginer, il n’y a pas à se jeter des cendres sur ce sujet, mais c’est pourquoi il est important d’écouter ce que les jeunes femmes ont à en dire, les croire et tenir compte de ça plutôt que ce que nous souffle notre “bon sens”, qui est forcément biaisé. Je me mets pour le coup dans le même panier que toi parce que mon âge fait que je suis très rarement emmerdée dans la rue en plein jour, c’est lire les autres et écouter ma fille qui m’a (re)fait prendre conscience du problème. Le cerveau c’est bien fait, j’avais totalement évacué qu’à l’époque où j’étais lycéenne c’était tout le temps, partout.
Tu demandes qu’y faire ? Laisse les poings dans tes poches, personne ne te demande de sauter à la gorge des lourdauds de la rue. Ne pas y participer toi même, ne pas laisser passer si tu te promènes avec un ami ou ton fils qui le ferait, écouter/lire les témoignages et les études sur le sujet pour pouvoir en parler toi aussi si une discussion se présente. C’était l’objet de mon billet, pas de vous ériger en chevaliers blancs.
Et oui, messieurs, ça veut dire que parfois, quand vous n’êtes pas sûrs que votre sourire ou votre regard sera bien interprété il vaut mieux y renoncer. C’est peut être dommage mais tant qu’on n’aura pas construit une rue sûre, c’est le mieux que vous ayez à faire. Et puis vous verrez, ça n’est pas si fréquent que ça que vous rencontrerez ces situations : je vous assure que comme le dit Krysalia, ces possibles ambiguïtés là sont fort rares. Vous faites comme je dis au début de ce paragraphe et on en recause dans six mois ? ;-)
(Samantdi, on peut être en désaccord avec toi et te le dire sans être pour autant un donneur de leçon, hum ?)
@samantdi > j’ai retrouvé l’image dont je parlais http://sanctuaire.lamecarlate.net/h… . La dame dit la même chose que moi, cent ans avant ma naissance ou un peu moins :D. Si leçons il y a, ce n’est pas moi qui les invente. Ces questions ont été débattues depuis bien longtemps par des gens très compétents qui en ont débroussaillé les bases, bases que j’ai expliquées dans mon post, rien d’autre. D’autre part j’aurais cru que tu étais capable de lire un point de vue développé sans rester dans les problèmes ad hominem. Tu ne me supportes pas, d’accord. Mais ce dont je parle, tu veux vraiment faire l’impasse dessus, quitte à ne pas entendre la voix des auteurs d’origine (ayant donné corps à ce point de vue) derrière la mienne ?
j’insiste, je suis un être humain, j’ai le droit de me promener dans l’espace public comme bon me semble sans me faire imposer la notation d’autrui. Je veux bien de qui recherche mon consentement, pas de celui qui recherche son bien-être en exerçant sa domination sur moi, dans ce même espace public. Je ne cause pas cette domination, je n’en suis pas responsable. Je n’ai pas à renoncer à des droits fondamentaux pour y échapper… et par dessus tout je ne suis pas illégitime de me plaindre de cette domination qui m’écrase.
Tu détestes ce terme de domination, d’accord. Mais est-tu vraiment entrain de nier les réalités qu’il recouvre ? Est-ce que les gens qui témoignent de ce qu’ils ont vécu dans ce domaine hérissent tellement le poil de tes tabous que tu n’arrives plus à entendre ce qu’ils disent ? On dirait bien que oui. C’est assez dommage, mais tant pis alors.
@franck> je pense que tu as raison et qu’on atteint les limites du problème quand on cherche des solutions individuelles. éduquer les hommes à ne pas harceler consisterait à changer la totalité des messages transmis aux gens dans la société dans laquelle nous vivons. Tu éduques ton fils, et tu as raison, à ton niveau c’est ce que tu peux faire de mieux pour lui et les femmes qu’il va côtoyer. ça fait déjà un point.
L’état pourrait aussi former ses acteurs de façon à ce qu’eux mêmes ne renforcent pas ce sexisme quand ils ont à traiter la parole des victimes ou à intervenir. A son niveau individuel, on peut aussi reprendre à son compte les réflexions menées sur ce sujet par des auteurs qu’on apprécie, et les transmettre de façon à essayer de changer les mentalités dans son petit rayon d’action. ça fait deux points de plus. Tout ça semble en effet bien maigre… mais il faut commencer quelque part :/.
tu parles des zyvas à capuche mais que dire des ouvriers siffleurs ou des cadres de la défense rigolards et obscènes, les infirmiers tendancieux ou les surveillants de lycée un peu trop grande gueule ? pas un milieu n’est épargné par ce problème. Pas une de ces personnes n’écoute ceux qui voudraient leur apprendre à ne pas harceler, parce qu’ils n’ont pas à écouter. La société continue de trouver leur comportement très acceptable : elle indique par tous les moyens possibles à leurs victimes de changer de chemin ou de moins se plaindre. Peut être que c’est dans la façon dont nous tous accueillons la parole des femmes harcelées qu’un début de solution est envisageable, également.
Écouter, respecter, valider le ressenti + empowerment ont fait leurs preuves dans la réception de témoignages de viol. C’est également très important en cas d’agression ou de harcèlement. On pourrait proposer à des gens de l’apprendre, et de le mettre en pratique dans leur entourage.
ça ferait un point de plus. Et c’est toujours aussi maigre, j’en conviens :/
Quant à ces harceleurs, ne s’agit pas de les virer manu militari de l’espace public, mais de leur faire savoir ce qui y est acceptable et ce qui ne l’est pas, via tout l’arsenal institutionnel de prévention, d’éducation et aussi de répression. On peut trouver un bon exemple de ça aux pays bas : l’homophobie dans une agression verbale ou physique est considérée comme une circonstance aggravante et très prise au sérieux par les autorités, et ce depuis le passage de loi sur le mariage pour tous là bas. on peut initier ce genre de changement pour les agressions et harcèlements sexistes en France, par exemple. Avec les mêmes cours et formations dispensés à côté, bien entendu.
A vrai dire, je suis assez pour les cours de “relations sociales” aussi, ça simplifierait la vie à plein de gens. Ça aiderait aussi ceux qui se font piétiner à se sentir légitimes de s’en plaindre, réduisant d’autant la prégnance de leurs agresseurs dans le débat.
mais je maintiens là encore, des cours “de drague” ne changeraient strictement rien au problème. Celui qui harcèle n’est pas dans la séduction, il ne drague pas.
Je ne résiste pas dans ce débat, à retranscrire ici un auteur que j’adore (Musset, les Caprices de Marianne) et qui posait déjà toutes ces questions. Quand je l’ai lu, j’avais 15 ans et j’ai pensé “mais oui !” je me sentais comme Marianne jusque dans sa conclusion.
MARIANNE (parlant à Octave qui l’aborde dans la rue pour lui parler de son ami Coelio qui se croit amoureux d’elle alors qu’il n’a fait que lui-même la croiser dans la rue):
Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ? Voyez un peu ce qui m’arrive : il est décrété par le sort que Coelio m’aime, ou qu’il croit m’aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse . La jeunesse napolitaine daigne m’envoyer en votre personne un digne représentant chargé de me faire savoir que j’ai à aimer ledit seigneur Coelio d’ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N’est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l’heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt et faire de son nom le refrain d’une chanson à boire ? Si elle refuse, au contraire, est- il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu’elle, et l’homme qui lui parle, qui ose l’arrêter en place publique, n’a-t-il pas le droit de lui dire : Vous êtes une rose du Bengale sans épines et sans parfum ?
…
– Qu’est-ce après tout qu’une femme ? L’occupation d’un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule. Une femme ! c’est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : voilà une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : «Voilà peut-être le bonheur d’une vie entière », et qui la laisserait passer ?
ha ha, kozlika, quand tu dis
, pour moi ça relève de la magie noire que d’être capable de savoir à l’avance l’interprétation qu’en fera l’interpellé(e).krysalia tu as raison pour mon “ethnocentrisme” — j’ai pas trouvé de terme plus à-propos — à propos des zyvas, probablement parce que ce sont, de mon expérience personnelle, les plus visibles. D’ailleurs peu de temps après avoir commenté ici j’ai découvert (via Julien Mudry) et lu ce billet qui montre bien qu’ils n’ont pas le monopole de ce genre de harcèlement.
Comme Samantdi j’ai du mal à considérer le compliment comme du harcèlement, alors que les insultes et les attouchements si.
Il y a sans doute une question d’époque, j’ai le souvenir que les gars sifflaient les filles et que c’était joyeux, sans menaces, ni non plus le “charmante”. Selon l’humeur et l’allure de l’interlocuteur c’était lourd, tentant ou marrant. Jamais je n’ai eu l’impression que ça pouvait dégénérer en insulte ou plus risqué.
En revanche par trois fois et à des heures de journée et dans de plutôt beaux quartiers j’ai eu affaire à de vrais harceleurs dont un c’était tellement absurde que je n’ai pas compris tout de suite (c’était dans le RER, je lisais) et un que j’ai physiquement dû envoyer valdinguer.
Il m’est arrivé aussi des soirs tard en rentrant à pied y compris récemment - preuve que ça n’est pas tant question d’âge, ni d’être habillée sexy - d’être abordée maladroitement et de taper la discute un bout de chemin tranquillement. Pas mal de harceleurs le deviennent à partir du moment où ils perçoivent qu’ils font peur.
Enfin il y a sans doute une culture méditerranéenne de l’apostrophe homme femme, j’ai des souvenirs d’Italie où une femme se serait sentie méprisée passant près de quelques hommes de ne pas recevoir les compliments d’usage. Mais il n’y avait en aucun cas insistance sauf à ce que la femme réponde par une invite, et pas d’insultes si elle marquait indifférence ou agacement. Une frontière est sans doute là : dans la crainte que ça ne dégénère.
Il y a peut-être davantage d’agressivité à présent un peu comme pour les personnes qui font la manche : il y a longtemps elles avaient presque disparu, puis sont apparus ceux qui étaient assis auprès d’un panneau, puis ceux qui entraient dans les wagons, ceux qui prenaient la parole ou jouaient d’un instrument à l’intérieur d’un lieu clos où l’on est obligé d’entendre, à présent c’est carrément on te met la casquette ou le gobelet sous le nez en te sommant de donner.
Le harcèlement vient du fait d’être contraint à émettre une réponse sous peine que ça aille pire.
Enfin je crois que la plupart des hommes qui émettent ces appréciations n’ont pas conscience de se faire pesants. C’est comme pour le fait de demander son chemin, je le fais le moins possible puisqu’on me le demande beaucoup - dans la rue ; à la librairie ça fait partie du boulot - et qu’à force ça me pèse. Mais le père de mes enfants lui n’hésite pas à demander y compris quand il sait à peu près par où passer ; un jour que je lui en faisais reproche, Mais pourquoi tu déranges les gens nous ne sommes pas perdus, il m’a répondu, Mais ça leur fait plaisir d’aider. Certains des hommes qui apostrophent les femmes passant, par un compliment, sont persuadés de leur faire plaisir, voire de rendre service (Je ne la trouve pas très belle, c’est pour qu’elle se sente jolie).
Pour ce qui est des insultes en revanche c’est sans ambiguïté et clairement du harcèlement.
J’en parlais avec ma mère dimanche, Gilda. Elle m’a parlé des stratégies d’évitement que ses parents lui avaient apprises. Essentiellement : ne pas sortir seule ; n’aller dans la rue qu’avec un homme de la famille ou ami de la famille ou à la rigueur avec une autre femme. Accessoirement, si on y est contrainte, par exemple pour aller faire des courses [sic], la règle d’or est de ne JAMAIS s’arrêter devant une vitrine et ne JAMAIS regarder les vitres dans le métro. Car c’était dans leurs reflets que les hommes cherchaient à croiser votre regard, vous faisaient de l’oeil ou simulaient un baiser, vous déshabillaient du regard.
Sinon les gens, je n’ai pas très envie de poursuivre sur le sujet des situations à la limite entre ce qui est du harcèlement et n’en est pas, je trouve qu’on perd l’essentiel de vue : qu’une femme soit harcelée 20 fois par semaine en comptant les “compliments” ou 15 fois parce qu’on ne les compte pas, ça change vraiment le propos initial ? (Et ces cinq-là on pourra encore discuter de ce qu’ils trimballent de sexisme et là encore nous aurons des avis peut-être divergents.)
Ah au fait, j’avais oublié de répondre sur un truc à Saymonz (et d’autres) : outre l’article signalé par Ydikoi et Franck, il y a aussi les expériences menées en Egypte : des femmes se sont baladées à la même heure dans les mêmes rues, les unes couvertes de la tête aux pieds d’un voile et les autres habillées en jupe et chemisier. Le nombre d’agressions physiques ou verbales était identique dans les deux cas (comme pour les viols d’ailleurs).
Beaucoup de réactions plus ou moins passionnées et aucun lynchage, ce qui va à l’encontre de mes craintes mais dans le sens de la conclusion de mon commentaire précédent : ici on peut au moins en débattre, ce qui ne m’a pas semblé être le cas sur d’autres sites, véritables repaires de féministes enragées (le genre où on trouve des thèses sur pourquoi le coït est en lui même un acte sexiste qu’il faut éviter à tout prix sous peine de se rendre coupable de haute trahison envers son genre, si si, rien que ça).
Je me reconnais beaucoup dans le commentaire de gilda, aussi bien sur ce qui concerne le sujet que sur le reste : je fais partie de ces gens qui, après avoir indiqué la bonne route à une âme égaré ressent une certaine fierté d’avoir fait ma BA de la journée. Si je n’ai pas envie de répondre je passerais mon chemin avec un vague « chaipadésolé ».
J’ai un peu plus de mal sur le fait de complimenter une femme que l’on ne trouve pas attirante dans l’espoir de lui donner un peu de confiance en elle, probablement en partie parce que je suis un bien piètre menteur et en partie parce que je ne fais pas de compliments aux inconnues dans la rue tout court.
Mais vraiment, je crois que je n’arriverais jamais à considérer un compliment sincère (non vulgaire, non lourdement réitéré, non accompagné de gestes déplacés) comme une agression.
J’ai beaucoup tiqué sur l’image donnée par krysalia, où l’on peut lire texto les craintes que je formulais : « Eh bien, si l’homme avait le respect de la femme, il ne s’adresserait jamais à elle dans la rue. » Il a été dit plus haut que la volonté des femmes de ne pas avoir de contacts avec autrui dans la rue était une conséquence du harcèlement, on pourrait en tirer, comme le dit gilda, la conclusion inverse (« Pas mal de harceleurs le deviennent à partir du moment où ils perçoivent qu’ils font peur. »).
Concernant les aspects vestimentaires, j’ai lu assez d’articles sur le sujet pour savoir que le viol et le harcèlement semblent effectivement passer outre, je soulignais juste le paradoxe de voir à côté de ça des femmes dire qu’elles « s’enlaidissent » volontairement pour y échapper. Cela permet-il, faute de l’empêcher, de réduire l’occurrence du phénomène ?
Encore une fois, je ne suis ni femme ni harceleur (jusqu’à preuve du contraire, selon certaines je suis déjà bien au delà des limites par le simple regard que je pourrais poser sur elles) et fais partie comme le dit Kozlika de cette « majorité » masculine, jeune, blanche et relativement propre sur elle à qui, si j’en crois vos propos, la rue semble appartenir, ce qui explique sans doute mes difficultés à m’approprier le problème.
Saymonz, “Cela permet-il, faute de l’empêcher, de réduire l’occurrence du phénomène ?” Non. Tristement je crois que c’est l’intériorisation que ça serait un facteur déclencheur et aussi que ça sert à ne pas culpabiliser (ni n’être accusée) et ne pas se dire (ni s’entendre dire) qu’on l’a bien un peu cherché.
Lors des dépositions pour agression sexuelle la question de savoir comment la victime était vêtue est systématique. Des chercheurs ont demandé aux agresseurs comment la femme qu’ils avaient agressée était habillée (je crois que c’était au sortir des procès, je n’en suis pas sûre). Les mecs ne s’en souviennent pas…
Sur les “féministes enragées”, ben ma foi il y a des enragés chez tous les militants de toutes les causes, pas plus là qu’ailleurs.
Sur le reste, comme je l’ai dit plus haut, je n’ai pas envie de poursuivre sur le sujet des “compliments”, qui m’apparaît tout à fait mineur au regard du phénomène global du harcèlement dont je parle dans ce billet. Je maintiens d’ailleurs que comme la plupart de mes congénères je suis tout à fait capable de distinguer la gentillesse ou la politesse/civilité du caquetage du coq dans la basse-cour.
Excellent billet et conversation passionnante sur un sujet que j’ai toujours eu à coeur, me voilà ravie de tout lire. Je n’ai pas grand chose qui n’ait déjà été abordé ici à rajouter. Le terme de “harcèlement de rue” qui est nouveau en français vient directement de la traduction de “street harassment” qui est donc apparu dans la culture anglo-saxonne il y a une vingtaine d’années avec la lutte contre la violence faite aux femmes, une lutte qui appartient effectivement au domaine de la lutte contre la domination et la discrimination. (Le terme de “harassment” contient la notion d’intimidation et de pouvoir alors que le mot “harcèlement” est peut-être perçu par le locuteur français comme surtout un terme de violence, physique ou morale et du coup ne semble pas autant adapté à certaines formes de cette prise de pouvoir verbale quand la femme se fait asperger de banalités supposées flatteuses, mais non sollicitées).
Ce thème est très présent dans l’actualité américaine où nous avons même vu intervenir le Président des Etats-Unis sur le problème des agressions sexuelles sur les campus universitaires. Si je cite ce phénomène, c’est parce que le campus universitaire n’est plus la rue de banlieue ou la rue “mal famée” où une partie de la population ne serait pas socialement invitée à déambuler selon ces fameux codes culturels discriminatoires. J’appartiens à une génération qui aurait rêvé que ces questions n’aient jamais plus à être soulevées et qui mesure aujourd’hui à quel point les luttes de pouvoir ont glissé du terrain des classes sociales vers des divisions encore plus binaires et clivantes.
Lien vers un site parmi d’autres qui est entièrement consacré à ce triste phénomène avec comme objectif d’en créer un mouvement positif de changement et d’action plus que d’analyse et de débat (même sain, le débat est le premier pas mais s’il n’est pas suivi d’action concrète il peut mener à l’inertie). Personnellement, je pense que chacun peut agir à son propre niveau, selon sa place dans un groupe donné.
Un ami poste ça sur son mur FB http://www.revue-ballast.fr/en-fini…
Merci pour le post sur revue-ballast. Sujet d’actualité très présent aux
USA/Canada et découvert il y a peu en Europe de l’Ouest.
La généralisation de l’égalité H/F est un phénomène nouveau dans nos sociétés.
Le droit des femmes est récent (1936). Il n’y a pas si longtemps, insulter une
femme en plein direct télévisé faisait sourire naïvement l’audience. En très
peu de temps, les choses ont énormément évolué, mais il reste du chemin à faire
pour que les femmes passent de l’ombre à l’indépendance.
Merci d’avoir relayé l’info, et continuez d’en parler.