J’ai écrit pour deux personnages à l’Auberge. Aujourd’hui parlons de Jeanne Lalochère, l’aubergiste.

Jeanne a été présente tout l’été, c’était l’aubergiste, comme Violette Rossignol avait été la directrice de l’Hôtel des Blogueurs. Ayant été rapidement coincée à ce jeu précédent par la somme des tâches « non écrivantes » et aussi parce que je me suis vite retrouvée dotée par d’autres personnages d’un passé sulfureux dont je ne savais pas quoi faire, Violette avait eu une production plus que modeste.

Je m’attendais plus ou moins à ce qu’il en soit de même avec Jeanne, comptant essentiellement jouer de son rôle pour lancer des animations générales ou donner quelques repères globaux au récit. J’avais du coup esquissé son profil de façon très sommaire : une jeune mère d’une fillette dégourdie d’une dizaine d’années, un frère nommé Gabriel bossant dans le spectacle et vivant à Paris, un nom Jeanne Lalochère. Si tous ces éléments vous font penser à Zazie dans le métro, c’est normal !

Mais plusieurs facteurs ont contribué à ce que finalement elle prenne autant de place que les autres présents tout l’été. L’équipe plus nombreuse pour l’animation et la modération, un profil défini d’emblée comme compétent et sérieux évitant que je me retrouve dans un cul-de-sac, le rôle réel du forum en tant qu’espace de concertation entre auteurs. À ces conditions de confort bien plus grandes qu’à l’édition précédente se sont ajoutées mes retrouvailles avec le plaisir d’écrire. Du diable si j’allais laisser passer cette occasion, il n’en était pas question !

Le personnage s’est donc construit peu à peu, au fil des éléments qui me venaient en tête, souvent pour rebondir sur des éléments introduits par d’autres participant·e·s au début du jeu : un valet de chambre fantasque, une alarme incendie au milieu de la nuit, ah oui tiens au fait pourquoi élève-t-elle seule sa fille, etc. C’était très amusant de traiter les informations en sous-texte des autres pour tisser des fils et Jeanne s’est ainsi enrichie de facettes que j’ai pu développer tout au long de l’été : une patronne avec des préoccupations pragmatiques et des soucis financiers, une mère d’une enfant parfois un peu trop maligne, une sœur…

Il lui manquait toutefois un peu de chair et on ne lui voyait pas beaucoup d’aspérités. La compétence était acquise, mais au point qu’elle était un peu trop lisse et sa position n’offrait quasiment pas de possibilités d’interactions personnelles avec les clients ou son équipe. De plus, tout le monde ayant bien compris que je ne voulais surtout pas que le personnage ni l’auberge partent en vrille, Jeanne était très, trop préservée, tout le monde la trouvait parfaite (quelle plaie !).

Gaston-Pep m’a sauvée vers la mi-juillet en proposant d’initier un fil conducteur que nous développerions jusqu’à la fin du jeu : la constitution de ce qu’il a appelé « la tribu ». Cela créerait du liant entre membres du personnel, leur offrirait des interactions plus personnelles, fournirait un étayage pour son personnage. Au passage cela permettrait à Jeanne d’exprimer des aspects plus intimes autour des difficultés à concilier la vie personnelle et professionnelle et lui apporterait un amoureux. Un beau cadeau (le tout, pas que l’amoureux, rho comment vous êtes) à point nommé.

Pour donner un déclencheur qui permettrait d’illustrer l’équipe en train de se souder, Jeanne fut placée au bord du burn-out, son équipe venant à son secours. Cette belle ouverture m’a permis d’étoffer le personnage, de la sortir de sa réserve et de son opacité toute professionnelle. De même en a-t-il été autour de l’embauche début août d’une nouvelle recrue, ex-cliente devenue serveuse, la si touchante Natou que Jeanne a prise d’affection et sous son aile. Grâce à Natou, Jeanne a pu faire preuve d’empathie et montrer un autre aspect en guidant affectueusement la jeune serveuse.

La mise en place s’est donc faite progressivement durant toute cette première partie. J’avais tout ce qu’il me fallait pour que Jeanne soit « complète » et n’avais plus qu’à dérouler tous ces fils, les entremêler en sautillant de l’une à l’autre des facettes à ma disposition, les faire se rencontrer. Ça m’a été bien utile. Quand j’étais en attente de progression du récit sur un front je pouvais me déplacer sur un autre pour trouver sans problèmes matière à raconter. Tout se goupillant plutôt bien j’ai pu finir comme prévu la dernière quinzaine avec sur le plan personnel l’esquisse d’un relâchement du contrôle que Jeanne excerçait sur elle-même par crainte de n’être pas reconnue professionnellement (avec une mémorable virée en combi avec la sémillante Miss June) et sur le plan professionnel l’officialisation du passage d’une responsabilité à assumer seule vers une association avec son frère et la « tribu ».

Oui c’est long mais c’est chez moi et j’ai une mémoire de poisson rouge, j’ai besoin d’écrire tout ça pour y revenir dans quinze ans, z’avez qu’à pas tout lire aussi…

Sur le plan de l’écriture les débuts ont été (vraiment) très laborieux. La machine était rouillée et si je savais encore pédaler j’avais complètement perdu la méthode pour monter en selle.

Dans mon processus d’écriture, je retravaille peu mes textes à part à la marge pour supprimer des redondances de mots ou en choisir un qui me plaît mieux qu’un autre. Certains sont immédiats, mais le plus souvent il y a une période de gestation quelque part dans un coin de ma tête. Quand j’écrivais beaucoup sur mon blog, c’était généralement pendant les temps de transport que le billet que j’écrirais le soir se dessinait, parfois même avec déjà des phrases complètes, la chute ou l’amorce ou tout ça à la fois.

J’avais oublié ça si bien qu’au lieu de lancer une tâche de fond dédiée à cette marinade je me plantais « toute nue » devant ma page blanche à l’heure d’écrire en attendant que ça vienne et ça ne fonctionnait évidemment pas. Je m’en suis sortie grâce au collectif, en utilisant les textes des copains pour la matière première comme je le disais tout à l’heure, ce qui pour le coup tombait bien puisque ça m’a permis d’étoffer le « background » de Jeanne, mais c’était frustrant. Je me suis demandé si la capacité d’écrire ne s’était pas tout simplement éteinte.

Les automatismes sont revenus peu à peu en quelques semaines. Seule différence avec le temps des blogs : plus de transports, peu de temps de cerveau disponible en raison des autres occupations et de mes différents squaters chéris chez moi. Les rouages ne commençaient à tourner qu’une fois couchée et comme j’avais beaucoup moins confiance de m’en souvenir le lendemain je me suis de nombreuses fois relevée au milieu de la nuit pour écrire avant que les mots s’effacent de ma mémoire.

L’autre écueil que j’ai rencontré tenait involontairement à mes partenaires de jeu. Le « fil » de Jeanne sur le forum était le lieu de demandes à l’animatrice et pas à l’auteur d’un personnage : questions sur l’inscription, l’environnement de l’auberge, les règles du jeu… Mine de rien ça m’a un peu compliqué la tâche, alors que les contours de Jeanne étaient déjà si flous pour moi. Dans le même sens il y a eu quelques commentaires qui renvoyaient Jeanne a une sorte de porte-parole de la meneuse de jeu et sous-entendaient qu’elle me servait à faire passer des messages, ce qui m’a plus blessée que je ne l’aurais voulu, quelles que soient les intentions de leurs auteurs, et m’a freinée dans certaines interactions, infaisables avec ce « soupçon » sans qu’on rique d’y voir des règlements de comptes. J’ai fini par m’en taper, mais trop tard.

Bref, c’est pas très grave hein ? Je le note surtout parce que c’est pour toutes ces raisons que j’ai créé clandestinement (à part pour Pep et Franck) un second personnage, qui me permettrait de fictionner tranquillement dans mon petit coin de joueuse comme les autres. Mais ça, je vous le raconterai un autre jour !