1973:13 mes manifs
Par Anna Fedorovna le jeudi 14 décembre 2006, 15:25 - Mes petits cailloux - Lien permanent
Mai 1973, planquée sous une table, j'assiste aux assemblées générales des lycéens contre la loi Debré. En principe, mon statut de cinquième, même redoublante, ne m'autorise pas à participer aux réunions mais je ne raterais ça pour rien au monde. J'aime l'effervescence des réunions, les départs en kermesse pour les manifs, la confection des banderoles, les propositions de slogans, les réécritures de chansons. Je ne participe pas à proprement parler au mouvement lycéen mais j'en suis une spectatrice avide et ravie. Le printemps lycéen est arrivé comme une fête au milieu d'une année terne, je m'accroche à leurs rires.
Merde, la prof d'allemand m'a vue. Nous nous détestons cordialement depuis déjà l'année dernière, à ma première cinquième. Elle a pesé de tout son poids dans ce redoublement malgré les efforts de ma bien-aimée prof de français et mes notes à peu près correctes dans les autres matières.
Cette année c'est ma prof principale et c'est encore pire. Après m'avoir chopée dans l'A.G., elle convoque Maman. Maman y va avec Papa. L'autre demande qui c'est le monsieur qui n'est pas dans ses fiches (ça l'a bien énervé, ça, Papa : « Tu as mis quoi sur la fiche ? » me demande-t-il. « Inconnu. » Papa serre les mâchoires et passe la main sur son crâne.). Elle dit que je suis trop jeune, immature et sans doute limitée intellectuellement. Elle veut que je passe des tests pour être orientée en filière courte ; elle dit que je suis influençable et que je vais tomber dans la délinquance. Maman et Papa me disaient que les profs n'aiment ni ne détestent leurs élèves, mais quand ils l'ont rencontrée et que la prof leur a expliqué ses projets pour moi, ils se sont détestés tout pareil qu'avec moi. Quand Papa lui a dit qu'en primaire j'étais toujours première de ma classe, l'autre a laissé tomber : « Oui... à Ivry. » Quand Maman lui a dit que mes notes n'avaient chuté que depuis le milieu de l'année dernière, que j'étais super bonne en sixième dans votre établissement parisien et qu'il fallait me laisser un peu de temps, l'autre lui a dit « c'est toujours difficile pour des parents d'admettre que leurs enfants ne sont pas capables de faire des études ».
Après, comme maman est une adulte et que c'est une fille elle ne lui a pas cassé la gueule. Moi j'aurais voulu qu'elle lui casse la gueule, je la hais. Mais Maman n'a pas fait ça, Maman lui a proposé un marché : on ferait les tests en double, chez le truc où la prof veut m'envoyer et chez un organisme que Papa et Maman choisiraient. Quel que soit le résultat ils me mettraient ailleurs l'année prochaine. Mais si les résultats étaient bons, on écrirait sur mon bulletin que je pouvais passer en quatrième et s'ils n'étaient pas bons, les profs écriraient ce qu'ils voudraient.
Ils me disent ça le soir, quand je rentre à la maison. Et qu'ils ont pris rendez-vous pour ce samedi et le samedi suivant dans des instituts je-sais-pas-quoi pour les tests. Je ne veux pas y aller. Je leur dis : ah ben non, samedi ya manif et maman a dit que je peux y aller si je promets de rentrer avant l'arrivée du cortège et que ça ne me fait pas sécher des cours. Et c'est Maman qui commande, c'est elle sur les papiers, et Maman a dit oui et elle tient toujours parole. Maman me dit que c'est pas un souci, les tests sont le matin. Aaaaaah mais non : le matin j'ai cours. Eh bien tu n'iras pas en cours.
Je n'ai plus d'arguments. Je vais les décevoir ; moi je le sais bien que je ne suis pas intelligente, mais eux pas encore, ils ne se rendent pas compte. Quand Papa est parti je demande : je vais aller où si les tests sont mauvais, dis Maman ?
SuperMaman éclate de rire : « Si les tests sont mauvais ?!? Si les tests sont mauvais ?!? Tu t'es mise à boire en cachette ? ... "si les tests sont mauvais", pffffffff ! Tiens, tu sais quoi ? Ce soir, on fait la RE-VO-LU-TION ! A bas, à bas, à bas la prof d'allemand ! »
Commentaires
Ta teigne de prof d'allemand doit avoir un lien de famille avec celle de maths qui a décrété à mes parents que je n'aurais jamais mon bac.
Et tu sais quoi ? A l'heure où on en cause, elles moisissent oubliées au fond d'une salle de classe désaffectée, ou pire, dans une maison de repos pour prof chahutés.
Gniark.
Bonjour J'ai trois blogs préférés. Le tien, celui de Monsieur Le très chieur et celui de Maxime (http://objectif.blogspot.com/). Ce sont mes trois bouffées du Net. J'aime bien te lire pour retrouver une époque, des émotions des souvenirs même si je suis de la génération un tout petit peu après, ces petits sixièmes ou primaires qui vous regardaient d'un oeil rond et admiratif (plus tard je ferai comme eux !) Voilà ; un comentaire sans grand intérêt, juste pour dire que j'ADOOOOOOORRRRRRE ce blog. Amitiés
On devrait avoir un répertoire des profs qui nous ont dit (et ont dit aux parents, bien sûr) que nous n'arriverions jamais à rien. Il y en a deux ou trois que j'irais volontiers narguer, moi.
Remarquez bien que s'ils en valaient la peine, ils ne seraient pas si difficile à retrouver non plus, mais je justifie ma paresse comme je veux.
Et tu lui as fait bouffer les résultats des tests qui prouvaient que tu étais surdouée ?
À l'issue de la 3ème, on m'a dit : pas de seconde pour toi (ce qui signifiait pas de bac littéraire, pas de beaux-arts ou arts appliqués), mais un beau brevet professionnel de comptabilité. En deux ans.
À l'issue de cette première année de bilans, on m'a dit : et un redoublement, un !
Sauf que j'avais atteint l'âge de seize ans, celui à partir duquel la scolarité n'est plus obligatoire.
J'me suis barré. Forcément.
Depuis, je me dis qu'avec un peu de chance tous ces profs ont péri d'un long et douloureux cancer.
(C'était mon commentaire Spécial Entorse à l'humanisme.)
Moi c'est aussi une prof de maths qui a décrété que j'étais trop lent, dès la sixième... Total, je n'ai jamais aimé les maths, je ne sais toujours pas très bien comment on fait une division, mais je l'ai eu quand même mon bac... avec 2 en maths, et au rattrapage !!! A bas les profs aigris et les évaluations de QI !!
Si jeune et déjà rebelle!!!
C'est drole, mais sans être ni un bon ni un mauvais élève, je suis passé à travers ces soucis. Au secondaire je les réglais moi même et avec pas mal de succés. Il faut dire pour être juste que je me suis trouvé, avec toute ma classe dans une "erreur de programme" fait par l'éducation nationale, ça aide. Ce fut tout juste si nous nûmes pas droit aux excuses!!!
Je t'aime bien kozlika, mais tu me donnes le bourdon. Le passé, c'est le mal (enfin pour moi hein, tout est relatif, faut pas déconner non plus).
Eh be ! c'est tout beau ici, tu as refait le papier peint, c'est zoli :o) Alors comme ça tu as eu les résultats des tests ? Tu étais folle déjà toute petite ;o) Ils t'ont repéré assez tard, je trouve. Moi, c'est à l'école primaire qu'ils ont repéré le débile en devenir. Dans la classe de CE1 de madame Sens (si si, ça ne s'invente pas un nom pareil). C'était lors d'une inspection, 2 grandes personnes n'ont pas cessé de me regarder, à la suite de quoi mes parents ont été convoqués pour leur demander si par hasard je n'étais pas autiste ou quelque chose comme ça dun peu agité. J'étais petit, je ne comprenais pas tout, mais l'impression générale, ELLE, je l'avais bien captée. Ils avaient raison, je suis complètement con :o))
un post it vous manque et tout est dépeuplé. Pour combler le manque, j'ai trouvé ce produit de substitution. http://www.youtube.com/watch?v=qC_-Nx2CWR4&eurl= Tiens bon tu as fait le plus dur.
MarcelD, le changement de décor imposé est une mienne lubie, ce thème (Hibou) fait partie de ceux proposés dans le sélecteur des thèmes possibles pour ce blog et je trouvais que les billets de rétropédalage (dans la semoule) s'y prêtaient bien. Vous pouvez le changer si vous en préférez un autre :)
Aymeric, le passé c'est comme la rose du Petit Prince, faut l'apprivoiser malgré les épines.
Je vois qu'hormis le chanceux Zub, nous (en tout cas ceux qui ont commenté ici) avons tous eu des heurts avec tel ou tel prof sur notre chemin. Ça n'est souvent pas bien grave, ça fait même des souvenirs comme le dit Zerbinette chez Samantdi. C'est nettement plus grave quand ça compromet l'avenir comme ce fut le cas pour Monsieur Ka hélas.
Et puis en l'occurrence ce billet était pour faire le lien entre le billet 1974:14 et mon soulagement d'arriver dans un autre lycée et le billet 1972:12 que je suis en train de rédiger.
Moi j'ai commencé par lire 1972, alors évidemment j'ai un autre éclairage sur tes problèmes scolaires. N'empêche, cette prof c'était une sadique ou quoi ?
Ben nan, Fauvette, pas sadique je pense. Je crois plutôt qu'elle n'était pas très finaude et que jouaient ses préjugés sur les gamins qui venaient de banlieue associés au fait que j'étais très petite, aussi bien en taille qu'en âge, et au ton assez libre avec lequel je m'adressais aux adultes et qui devait passablement la défriser.
Kozlika, ne me dis pas qu'en plus, elle état frisée ?!
:-)
Samantdi, je n'en ai fichtre pas le moindre souvenir, mais je suis sûre qu'elle n'était pas brune, que ses yeux ne pétillaient jamais et qu'elle n'avait pas l'accent du Sud, sinon on aurait été coupines tout de suite ;)
Oui je vois, elle voulait que tu te comportes comme une petite de 11 ans terrorisée par Madame le Professeur. C'est qu'elle avait une très haute idée d'elle-même cette petite dame ! Ah la liberté de parole, j'ai eu le même problème avec les religieuses de mon école. Elles en avaient déduit que je parlais ainsi parce que j'avais 4 frères ! Ah bon ? Après 13 ans de scolarité chez elle, je ne suis pas devenue muette, mais contemplative ! J'écoute, j'écoute...
Bon dimanche.