Collectionneuse
Par Kozlika le dimanche 30 octobre 2005, 07:13 - Lien permanent
Enfant je faisais toutes sortes de collections. Encore que « collection » soit impropre : foin de timbres ou d'étiquettes de boîtes de camembert ou autres images offertes avec leur collector Banania, ce que j'aimais c'était réunir des documents ou des objets autour d'un thème. L'automne, Mai-68 (je chipais tous les tracts traînant dans les poches de ma frangine au retour de ses manifs), le rugby (??). Ces collections disparaissaient au fur et à mesure du temps, la collecte m'intéressant beaucoup plus que la préservation. Il en est une toutefois à laquelle j'ai accordé plusieurs mois durant une attention et un soin tout particuliers : Le Mariage. Je devais avoir huit ou neuf ans au début de cette entreprise puisque c'était après celle de Mai-68 mais avant Rugby. Et rugby c'était en sixième. Bref.
Cette photo, qu'Akynou nous propose pour la deuxième session du Dypique, y aurait parfaitement trouvé sa place. Ou plutôt sa photocopie, car mon collector était constitué de sous-chemises jaunâtres reliées par une torsade fabriquée main en fil de tricotin à la pliure et le poids d'une vraie photographie n'aurait pas convenu au confort du feuilletage.
Bien entendu, le titre s'affichant sur la première de ces pages était constitué de lettres tarabiscotées pleines de boucles, de pleins et de déliés, que j'avais dû refaire plusieurs fois avant d'en être pleinement satisfaite, regrettant toutefois que le verso laisse transparaître l'encre. Ce point m'avait beaucoup tracassée jusqu'à ce que l'idée lumineuse de contrecoller cette chemise faisant office de couverture par une autre chemise en son revers me révèle à quel point j'étais rusée et fortiche.
Au nombre des documents réunis figuraient une bonne part de découpages issus d'une brochure des Allocations familiales consacrée à ce thème récupérée dans une salle d'attente de la Sécurité sociale où j'avais accompagné ma mère. Un dépiautage scrupuleux de divers magazines m'apporta de quoi remplir quelques pages d'alliances diverses, de citations bibliques, de montants de prestations, ainsi que des images de carpes et de lapins. Ce dernier apport est à interpréter au sens strict du terme, l'expression « le mariage de la carpe et du lapin » associée à ma lecture simultanée d'Alice au pays des merveilles me conduisant à quelques photomontages fort complexes.
J'ai encore quelque part dans mes cartons cette seule survivance de mes collections, Mai-68 étant tombé dans l'escarcelle de ma sœur et Rugby et les autres dans celle de la poubelle un jour où l'autre.
Je laisse le soin aux psychanalystes en herbe de méditer sur une telle collection réunie par une enfant illégitime et miraculeusement préservée au fil des ans...
On pourrait penser que la suite logique aurait été de collectionner les mariages. Las, nulles hyménées ne vinrent en cortège prendre place dans ma vie. La seule demande en mariage que je reçus avant l'ouverture de ce blog fut formulée par le père de mes enfants après une quinzaine d'années de vie commune. C'était un soir d'hiver dans la salle de bains. Le prétendant était derrière moi dans la baignoire tandis que je me brossais les dents devant le lavabo, pestant contre la fatigue envahissante de mes horaires de travail.
« Et si on se mariait ?, suggéra le prétendant la bombe de mousse à raser dans la main.
– Ah oui ?
– Ben oui, ça donne droit à six jours de congé pour événement familial, c'est super. (crissement du rasoir sur la joue droite, léger décalage du menton vers la gauche)
– ...
– Et puis surtout on paierait vachement moins d'impôts. Et dans deux ans on divorce, et hop ! re-économie d'impôts. » (crissement du rasoir sur la joue gauche, léger décalage du menton vers la droite)
Je le voyais dans le miroir en face de moi, j'avais la brosse à dents suspendue en l'air, la bouche pleine de dentifrice. Je me souviens m'être dit à ce moment que si on était dans un film d'Hitchcock, il faudrait filmer ça depuis le reflet dans le miroir. Je me retournerais et lui enfoncerais la tête sous l'eau jusqu'à ce qu'il se noie.
Les autres demandes que j'ai reçues ont toutes été faites publiquement : MleMaudit, David, Alexia, que mille grâces vous soient rendues !
Commentaires
o_O C'est romantique comme demande en mariage ça... (ouf, y'en a qui sont encore plus des manches que moi, ça rassure :p). Pour le côté psychanalytique, je pense juste à un simple fétichisme, tien de très grave, hein ? :D
de citations bibliques, de montants de prestations
tu pensais vraiment à tout!
Ca me rappelle la décision de mariage d'une de mes amies. C'est vrai que jusqu'au divorce s'entend, ça simplifie un peu la paperasse (comment ça je manque de romantisme ?!)
Ce qu'il faut en déduire... ? que cela remonte à l'époque où toute la force d'initiative - et d'émerveillement - incombait encore à la toute-puissante race des seigneurs du rasoir, nous les hommes?
(et d'ajouter : ces lâches qui tantôt omettent de déclarer aux impôts le meilleur de leur progéniture).
C'est si bien écrit qu'à la fin, je me suis demandée est-ce vrai ou est-ce seulement le fruit du jeu (à part la noyage bien sur)?
Face à ton air perplexe devant le mot noyage (que j'imagine), petite explication, il s'agit d'un mot valise (cher au garde-mot), composé de noyade et voyage (ou comment se rattraper lorsque l'on multiplie les fautes de frappes et qu'on ne se relit jamais).
Comme c'est choubidou cettedemande en mariage dans la salle de bains!
Mais tu sais, pour payer moins d'impots, tu pouvais l'épouser, le faire disparaitre en lui plantant ta brosse à dents entre les deux yeux, toucher une pension de veuve, et en retrouver vite un nouveau (bien romantique comme il faut) pour te marier :)
Brillante idée, Chondre, je suggère un nouveau jeu, racontez la suite de l'histoire ayant pour début cette scène :)
Vroumette, m'enfin pour qui me prends-tu ? j'avais bien évidemment compris immédiatement ce mot-valise comme ça ;-)
Janu, la force d'émerveillement hein ? Chaque jour qui passe me prouve à quel point les hommes et les femmes ne donnent pas la même signification aux mots...
Gilda, en fait le romantisme peut m'agacer aussi prodigieusement, j'y vois souvent l'effet d'une posture plus que de la sincérité. Et quand ça n'est pas le cas, cela sous-tend souvent une projection de perfection bien loin de la réalité. Au final, l'être aimé ne pouvant en aucun cas correspondre à ce que le romantique voudrait qu'il soit l'échec est au rendez-vous (mais je trace à grands traits pour faire vite, ça mériterait toute une discussion ça).
Nounou, ce sont les organismes de prestations sociales qui pensent à tout, qu'y pouvais-je ? ;-)
Palpatine, fétichiste de quoi d'abord ?
Comme Vroumette, je suis émerveillé de ce qui est finalement très ambigu dans ce texte : sa part fictive ou sa part réelle. Chercher à discerner si ton imagination déborde ou si le rasoir aurait pu faire bouillonner une carotide, c'en est presqu'indiscret. Ces scènes de demandes en mariage (ou d'uniques demandes en mariage) terriblement glauques (que j'écrirais volontiers glloq) me font penser à un livre que j'ai lu il y a trop longtemps (Les jardins du consulat de Rinaldi ?) et me foutent toujours un cafard monstre.
Voyons, veux-tu dire par là que d'un point de vue féminin (?..) une demande en mariage relève moins de ladite "force d'émerveillement" (pas mieux) que simplement, je ne sais pas moi, de la déclaration, de l'acte, voire, de la preuve d'amour?.. Parce que tout bien réfléchi oui, mon sentiment qui n'engage que moi, c'est qu'il y va plutôt de la merveille. De la chevalerie. D'une idéalité superflue, peut-être.
Janu, pardon j'ai mal interprété ton commentaire alors. Je croyais qu'il portait sur le dialogue de la salle de bains, et je ne vois là aucun émerveillement possible ni rien de chevaleresque, même en comparant l'étalement de mousse à raser à un heaume et le rasoir à une lance (quoique sur ce dernier point on pourrait peut-être y voir une similitude de symbolisme...)
Dans le genre "étonnante coïncidence blogosphérique", voici le dernier billet d'Alain Lipietz, Le Mariage d'une Fée. "La mariée, une fée connue dans certains milieux militants" : c'est peut-être un signe ?
J'aime beaucoup me balader par ici. Je reviendrai Bisous Arès
Vous êtes une orfèvre Kozlika. Le si joli thème graphique de votre blog m'y poussait déjà, mais je crois que désormais c'est à jamais que je vous imaginerai en noir et blanc et hitchcockienne.
A bientôt.
Rhagnagna
Bon, je t'avais fait un commentaire pas vraiment passionnant puisque je ne me souviens assez peu de ce qu'il disait, tellement peu passionnant d'ailleurs qu'il n'a pas été gardé en mémoire. J'ai du faire une fausse manip, je n'étais pas sur mon ordi, j'étais sur un PC et je n'avais pas vraiment dompté la bête. Le commentaire devait dire, j'imagine que j'aimais beaucoup ta participation qui donne un nouveau relief au jeu de donner une histoire à une photo :-)