Enfant je faisais toutes sortes de collections. Encore que « collection » soit impropre : foin de timbres ou d'étiquettes de boîtes de camembert ou autres images offertes avec leur collector Banania, ce que j'aimais c'était réunir des documents ou des objets autour d'un thème. L'automne, Mai-68 (je chipais tous les tracts traînant dans les poches de ma frangine au retour de ses manifs), le rugby (??). Ces collections disparaissaient au fur et à mesure du temps, la collecte m'intéressant beaucoup plus que la préservation. Il en est une toutefois à laquelle j'ai accordé plusieurs mois durant une attention et un soin tout particuliers : Le Mariage. Je devais avoir huit ou neuf ans au début de cette entreprise puisque c'était après celle de Mai-68 mais avant Rugby. Et rugby c'était en sixième. Bref.

photo dyptique 2 Cette photo, qu'Akynou nous propose pour la deuxième session du Dypique, y aurait parfaitement trouvé sa place. Ou plutôt sa photocopie, car mon collector était constitué de sous-chemises jaunâtres reliées par une torsade fabriquée main en fil de tricotin à la pliure et le poids d'une vraie photographie n'aurait pas convenu au confort du feuilletage.
Bien entendu, le titre s'affichant sur la première de ces pages était constitué de lettres tarabiscotées pleines de boucles, de pleins et de déliés, que j'avais dû refaire plusieurs fois avant d'en être pleinement satisfaite, regrettant toutefois que le verso laisse transparaître l'encre. Ce point m'avait beaucoup tracassée jusqu'à ce que l'idée lumineuse de contrecoller cette chemise faisant office de couverture par une autre chemise en son revers me révèle à quel point j'étais rusée et fortiche.
Au nombre des documents réunis figuraient une bonne part de découpages issus d'une brochure des Allocations familiales consacrée à ce thème récupérée dans une salle d'attente de la Sécurité sociale où j'avais accompagné ma mère. Un dépiautage scrupuleux de divers magazines m'apporta de quoi remplir quelques pages d'alliances diverses, de citations bibliques, de montants de prestations, ainsi que des images de carpes et de lapins. Ce dernier apport est à interpréter au sens strict du terme, l'expression « le mariage de la carpe et du lapin » associée à ma lecture simultanée d'Alice au pays des merveilles me conduisant à quelques photomontages fort complexes.

J'ai encore quelque part dans mes cartons cette seule survivance de mes collections, Mai-68 étant tombé dans l'escarcelle de ma sœur et Rugby et les autres dans celle de la poubelle un jour où l'autre.

Je laisse le soin aux psychanalystes en herbe de méditer sur une telle collection réunie par une enfant illégitime et miraculeusement préservée au fil des ans...

On pourrait penser que la suite logique aurait été de collectionner les mariages. Las, nulles hyménées ne vinrent en cortège prendre place dans ma vie. La seule demande en mariage que je reçus avant l'ouverture de ce blog fut formulée par le père de mes enfants après une quinzaine d'années de vie commune. C'était un soir d'hiver dans la salle de bains. Le prétendant était derrière moi dans la baignoire tandis que je me brossais les dents devant le lavabo, pestant contre la fatigue envahissante de mes horaires de travail.

« Et si on se mariait ?, suggéra le prétendant la bombe de mousse à raser dans la main.
– Ah oui ?
– Ben oui, ça donne droit à six jours de congé pour événement familial, c'est super. (crissement du rasoir sur la joue droite, léger décalage du menton vers la gauche)
– ...
– Et puis surtout on paierait vachement moins d'impôts. Et dans deux ans on divorce, et hop ! re-économie d'impôts. » (crissement du rasoir sur la joue gauche, léger décalage du menton vers la droite)

Je le voyais dans le miroir en face de moi, j'avais la brosse à dents suspendue en l'air, la bouche pleine de dentifrice. Je me souviens m'être dit à ce moment que si on était dans un film d'Hitchcock, il faudrait filmer ça depuis le reflet dans le miroir. Je me retournerais et lui enfoncerais la tête sous l'eau jusqu'à ce qu'il se noie.

Les autres demandes que j'ai reçues ont toutes été faites publiquement : MleMaudit, David, Alexia, que mille grâces vous soient rendues !