L'humanité se divise en deux camps bien distincts que tout oppose irrémédiablement.

La ligne de fracture passe très précisément au milieu de la table de ma salle à manger... Nous nous étions couchés tôt la veille et à mon lever des hommes et des femmes en armes se tenaient dans ma maison, les uns vêtus de vert et les autres de orange.

« Que se passe-t-il ? ai-je réussi à balbutier en plein désarroi apeuré.

– La frontière passe chez vous Madame, veuillez reculer s'il vous plaît, si vous mettez un pied chez l'ennemi nous serons obligés de vous abattre.

– Mais de quelle frontière parlez-vous ? C'est une blague, une caméra cachée ? »

Je combattais pied à pied une crise d'hystérie sur le point de m'envahir. Un cauchemar, ça ne pouvait être que ça, je faisais plein de cauchemars ces temps-ci.

Un officier me fit asseoir et m'expliqua posément, sans la moindre lueur de plaisanterie dans le regard, que désormais aucune réconciliation n'était envisageable et que la région avait été séparée d'un commun accord entre les parties. Et la frontière passait là, au milieu de notre maison. Ironie suprême, au milieu de la table de la salle à manger.

Ceux qui mettent des carottes dans la soupe au pistou et ceux qui n'en mettent pas.

Je percevais depuis quelque temps des tensions de plus en plus vives mais je n'aurais jamais cru qu'on aurait pu en arriver là. Je me levai pesamment, anéantie par la nouvelle d'une fracture absurde de plus. Combien de temps ce mur mettrait-il à tomber ? Vingt ans, cinquante ?

Hagarde je me tournai de nouveau vers la table et mes tripes se tordirent : en face de moi, de l'autre côté de la frontière, les yeux pleins de larmes, mon mari poussait un cri muet.

Participation au Sablier du printemps, amorce 7.