Perpignan─Paris
Par Kozlika le jeudi 21 août 2008, 17:27 - Lien permanent
Je t'aime Papa, mais t'es quand même un beau salopard. Je suis dans le TGV Perpignan─Paris, je vais retrouver des gens que j'aime et qui sont vivants, mais au lieu de me réjouir de ce voyage qui m'en rapproche je pense que je m'éloigne de Perpignan, de ce petit village, d'une ruelle du petit village, d'une maison dans cette ruelle et de la dame aux cheveux gris à la fenêtre de cette maison.
Pas été foutue de rester dans l'axe de son regard, d'attendre qu'elle m'interpelle. "Vous cherchez quelque chose ?", m'aurait-elle demandé. Et j'aurais su, et peut-être ça aurait été elle et peut-être pas. J'aurais pu dire que je passais dans ta rue pour voir ta maison, rien de plus, et que c'était elle qui m'avait interpellée. Ou alors j'aurais pu frapper tout de suite après à cette porte, sous l'impulsion. L'impulsion, ça peut se comprendre, ça vous échappe, ça vous empêche de peser le pour et le contre, ça vous fait faire des bêtises pardonnables.
Mais revenir le lendemain ? Débarquer au milieu du monde qu'on entendait à travers la porte cochère ? Et si c'était elle, la forcer à se confronter à ça en public ?
Je me suis retournée dans la rue. Samantdi est restée en face de moi, donc en face d'elle. Elle l'a bien observée, elle me l'a raconté après. Et puis quand la fenêtre s'est refermée (ou était-elle encore ouverte ?), on s'est éloignées de quelques pas et elle m'a pris la main, l'a serrée très fort et j'ai penché la tête vers son épaule et pendant que je m'y cachais elle m'a entourée de ses bras et elle a dit avec une voix enrouée « Oh putain ! » (T'es trop fort, Papa, tu arrives même à faire pleurer des filles qui ne t'ont pas connu.) Puis on a réfléchi, beaucoup réfléchi, et même trop réfléchi disent certains, et on est parties.
Narbonne, Béziers, Montpellier. Cette couleuvre-là je l'aurai digérée avant Valence parce que j'ai pas plus envie que ça de te faire de la place entre les vivants et moi et je la connais par cœur cette couleuvre, j'étais juste pas préparée à trouver ce morceau-là au menu du restau, mais il ne me faudra pas bien longtemps pour le mâcher et le remâcher comme les autres, j'ai l'habitude de ce goût-là, je connais les sucs qui les font fondre dans l'estomac. Ecrire en fait partie.
J'ai fait diète hier, la couleuvre se mange très bien froide aussi et je n'ai rien de mieux à faire dans ce train, autant le garder pour aujourd'hui. On a été des sémillantes modèles hier, tu peux me croire, et sans faire semblant. Tu n'as pas idée du nombre de portes que nous avons ouvertes. Et on était souriantes et pas qu'un peu, si souriantes que même la jeune serveuse du restaurant nous as quittées avec un "je vous aime bien, vous !" attendrissant.
Un ami me propose une ruse imparable, une botte de Nevers, pour démêler l'écheveau qu'on a laissé là-bas. Je ne sais pas quoi répondre. A la décantation finalement rien de nouveau : elle est peut-être vivante ou peut-être morte et j'ai toujours eu le moyen de pouvoir le savoir et de la joindre si je le voulais vraiment. Une autre porte à ouvrir, celle de la comptabilité de la caisse de reversion et ce serait réglé.
Rien de nouveau donc, si ce n'est que je connais désormais ton village, ta rue, ta maison, et que je sais qu'une belle dame aux cheveux gris y habite, derrière de délicats rideaux de dentelle blanche. Et moi je suis vivante.
Commentaires
Soupir. Avec beaucoup de tendresse. Chaque fois que quelqu'un me parle de son passé qui colle, je pense à la tunique de Nessus qui fait tout aussi mal à porter qu'à arracher.
Il n'y a pas de solution. Sinon applaudir des mains, des pieds, du pied de nez, du string même s'il le faut, à toutes les parts de toi vivantes, inentammables.
on t'aime très beaucoup, et il y a un homme au bout du quai.
ne pas "la forcer à se confronter à ça en public" : si je suis capable de comprendre quelque chose c'est bien ça.
et aussi que la porte comptable, sans doute ne résoudrait rien.
La phrase finale me laisse à penser que voir le village, peut-être n'a pas été vain ?
Et moi je suis vivante.
Tu viens avec moi, on va se faire tatouer ça sur la fesse gauche (en accordant selon le genre, hein, évidemment)
En plus, avec un string, ça sera du plus bel effet.
J'en suis bien contente (que toi, tu sois vivante).
c'est vraiment très bien écrit et très émouvant. J'ai perdu mon père
Ton billet m'a fait penser à lui, à cette saleté de vie qui parfois, il faut bien le reconnaître, n'a ni âme et ni coeur.
Veux bien venir si vous obtenez un prix de gros pour le tatouage !
Mais alors pas sur la fesse.
Moi il me faudrait un endroit que je vois plus souvent pour m'en rappeler de temps en temps…
La classe, on demandera un tarif de groupe ;-)
Sur le poignet, au lieu de mettre une montre. :-)
C'est normal qu'un bandeau mange le début du texte et le titre ?
Oui c'est normal si on utilise Windows et Explorer. Dans ce cas il vaut mieux aller en bas de la page et choisir une autre mise en page dans "Changez l'apparence de cette page".