(Ça pourrait ne pas être idiot de lire ce billet dans ce décor-là[1].)

Elle, Platée, c’est le laideron du bahut de la cité. Elle habite une caravane sur le terrain vague en bordure de la ville, toujours mal fagotée, couverte d’une plâtrée de maquillage bon marché. Lui, Jupiter c’est le prince de la ville, beau parleur et dragueur ; il sort avec sa sœur Junon ; leur couple fait la pluie et le beau temps des garden-party – et surtout les soirées déguisées où Jupiter fait toujours sensation – de leur école privée. Junon est du genre jaloux, ce qui parfois lasse Jupiter. Il aime bien de temps à autre se taper la bonne ou une paysanne du village.

Un jour Junon menace Jupiter de rupture. Elle en a marre qu’il se soit pour la millième fois laissé aller à faire des galipettes avec une pauvresse. Là, le gars commence à paniquer un peu car il compte pas mal sur la dot de son amante frangine et ne tient pas trop à ce qu’elle se casse pour de bon.

Alors il demande à son pote Momus s’il connaît un bon plan pour la faire revenir. Fastoche, lui répond son ami. Fais semblant de vouloir en épouser une autre pour qu’elle panique sérieusement, puis montre-lui que c’était bidon, jure-lui ton amour éternel. Elle en sera bien soulagée et ne t’en voudra plus de tes fredaines passées. Momus sait même quelle fille ferait parfaitement l’affaire : Platée. C’est une nana au teint verdâtre, lui explique-t-il, qui lit des romans Harlequin toute la journée et rêve de rencontrer l’Amour de sa vie, un héritier qui tombera raide dingue de sa beauté parfaite (pouf pouf) et lui demandera à genoux de l’épouser.

Tope-là, rigole Jupiter, présente-moi le thon, que je lui fasse ma cour.

Lorsque Platée apprend que le super beau mec de la boîte privée de la ville a vu sa photo et ne dort plus la nuit tant il rêve d’elle, elle a un peu de mal à y croire, mais pas trop. Après tout c’est à rêver qu’il se produirait un jour un événement exactement pareil qu’elle a pu supporter sa vie de merde jusqu’à aujourd’hui. Un riche héritier débarquant dans sa vie ou gagner à la Nouvelle Star, voire les deux, tel était son destin se répétait-elle depuis sa plus tendre enfance. Balayant d’un revers de main les doutes de son fidèle ami qui l’aime en secret, elle accepte le rendez-vous, ne s’étonne pas qu’il lui demande sa main au bout de cinq minutes, prend ses mines dégoûtées pour la timidité d’un amoureux transi. La copine déjantée de Jupiter, une nana sous acide qui s’appelle Folie, leur chante une chanson en leur honneur. Elle a l’air de bien se marrer mais vu qu’elle est shootée à bloc, c’est sûrement normal.

Le jour du « mariage », Junon, avertie par Momus, se pointe à l’église avec un fusil de chasse à la main. Furibarde elle fait un scandale, prête à descendre son frère-amant et sa promise. Histoire de voir la gueule de sa rivale avant de la trucider, elle soulève son voile et comprend alors que jamais un gars de la classe de son mec ne s’abaisserait à épouser une fille aussi vulgaire. La sauter, éventuellement (mais beurk !), mais l’épouser évidemment non. Jupiter a beau être un coureur, il a le sens de la noblesse. Morte de rire, elle tombe dans les bras d’un Jupiter victorieux et tous les invités se réjouissent avec eux de leurs retrouvailles et du bon tour joué au laideron.

Platée, mortifiée, désespérée, bafouée, essaie de sauver la face en les maudissant mais n’impressionne personne. Ramassant les oripeaux de sa dignité, elle retourne anéantie dans son marécage, jurant qu’elle et ses pareils caillasseraient tout gosse de riche qui se pointerait à moins de 100 mètres de chez elle.

Salut des artistes

C’était mon cadeau de Noël : une soirée au premier rang du Palais-Garnier pour Platée, opéra de Rameau dirigé par Minkowsky et mis en scène par Laurent Pelly, juste assez près pour voir les lèvres de Minkowsky chanter tout l’opéra, les expressions de visage de tous les chanteurs, les maquillages bluffants, la robe en partitions de la Folie (Delunsh) et la ridicule mais aussi pathétique Platée, incarnée par Jean-Paul Fauchecourt. Merci mille fois au gars qui m’a à la bonne !

Notes

[1] Et pour revenir au décor habituel il vous suffira de cliquer là.