Prête
Par Kozlika le vendredi 12 février 2010, 11:17 - Lien permanent
Maman parle de plus en plus souvent de la mort, de sa mort, sans aucune tristesse ni appréhension et je la sens parfaitement sincère. Elle ne redoute que le comment mais pas le quand.
Elle vient de prendre un abonnement avec une société qui lui loue un bracelet d’alarme pour une quarantaine d’euros mensuels et un engagement de quatre ans. Elle se marre : « ils font des calculs savants pour les durées de contrat, tu crois ? » Elle vient ainsi de se protéger en partie de ce qui lui fait le plus peur : se retrouver en situation de détresse et ne pas parvenir à appeler à l’aide, « avoir une mort moche ». Mais avant ça elle a téléphoné à la mairie pour vérifier qu’ils connaissaient cette société qui se réclamait d’elle et comme deux avis valent mieux qu’un elle nous a aussi chargés de nous renseigner sur Internet sur le sérieux de ces gens et les tarifs moyens. « On a vite fait de profiter des vieux pour leur fourguer de la camelote. »
Elle dit qu’elle n’a pas peur de la mort parce qu’elle a bien rempli sa vie, qu’elle l’a menée comme elle l’entendait, s’est battue quand il le fallait. Et c’est vrai. Si je devais donner deux mots clés à la vie de ma mère telle que je la perçois ce serait densité et détermination. Et sa caractéristique principale, sans nul conteste, est sa vivacité d’esprit, sa curiosité insatiable – si insatiable qu’elle en devenait parfois intrusive –, ses réactions vives et spontanées, opiniâtres quitte à être la seule à défendre son point de vue (aaaaah les discussions sur Israël et la Palestine les dimanches soir de mon enfance ou plus récemment celles sur le voile…).
Sa caractéristique principale était sa vivacité d’esprit.
On a fêté il y a deux semaines environ son anniversaire. C’est à cette occasion qu’il fut question de ce fameux bracelet. On en a bien parlé une heure ou deux. Et des sociétés qui se développent autour de la (non-)dépendance des personnes âgées. Et du risque de se faire embobiner par une offre rassurante mais peu sérieuse et coûteuse.
Et puis aussi mon neveu nous a annoncé qu’il essayait d’arrêter de fumer, sa compagne ayant elle-même arrété depuis plusieurs semaines. Et puis qu’il ne voulait pas trimballer son téléphone portable dans sa poche à cause du risque de stérilité (avéré ou non, principe de précaution oblige).
Depuis le temps qu’elle réclame à devenir arrière-grand-mère, je m’attendais à ce qu’elle en déduise l’évidence et bondisse sur la nouvelle avec ses gros sabots comme elle sut souvent si bien le faire. Rien. Pas de réaction. Avant-hier elle m’a téléphoné. Elle voulait m’annoncer qu’elle avait pris la décision de louer un bracelet d’alarme. Elle m’a décrit le produit, raconté comment elle avait téléphoné à la mairie pour s’assurer du sérieux de cette entreprise. « Oui, je m’en souviens Maman, on en a parlé à ton anniversaire. ». Un blanc. Un long blanc. Et puis un rire : « Ah, vraiment ? Ça alors ! Tu vois comme c’est moche de vieillir, je ne m’en souviens pas du tout, même maintenant que tu me le dis. » Avant, avant qu’elle n’ait peur de souffrir, elle avait peur de perdre la tête ; elle trouvait ça indigne, humiliant. Avant-hier elle a ri.
Parce que je veux que ma mère garde tous ses pouvoirs, je me suis raconté une histoire. Je me suis dit qu’elle ralentissait exprès son cerveau. Pour être encore plus prête, ne pas même se voir partir.
Elle est prête, mais moi je ne le suis pas.
Commentaires
Je ne crois pas qu'on le soit jamais vraiment, nous les enfants. Et il n'y a pas de recette magique, hélas.
Je te souhaite juste que chacun de vos instants à venir soient denses de bonheur à être encore ensemble.
Et puis mon émotion à te lire, qui ne sert à rien, mais bon. Ca existe aussi.
(J'ai comme idée que tu ressembles un peu à ta mère, non ? Curiosité, capacité à s'enflammer sur de belles discussions, toussa...)
<3
C'est une belle histoire que tu te racontes et qui dit bien l'amour que tu lui portes.
Ma mère perd la boule depuis un bon moment, enfin surtout la mémoire, elle ne parle jamais de la mort. Elle ne donne pas cette impression d'avoir bien vécu sa vie, elle a tellement subi.
Mais comme dit Anne, juste avant moi, on n'est jamais prêt pour la mort de ses parents, même quand l'amour n'y es plus (je pense plutôt à mon père là), quelque soit notre age, c'est toujours un choc d'être orphelin.
On est jamais prêt.
Surprenant parent, formidable mère qui, se faisant, continue à maîtriser sa vie... Parce qu'en accepter le cours, aussi brutal soit-il, c'est encore maîtriser celle-ci. Je ne suis pas tout à fait certaine que tu te sois racontée une histoire... La force n'est pas toujours là on le croit... Je t'embrasse très fort.
Moi aussi j'allais dire que l'on n'est jamais prêt, quel que soit leur âge et quelles que soient les circonstances.
Tu as de la chance d' avoir encore ta mère et de pouvoir lui parler. Profites-en bien. En ce qui concerne tous les matériels liés à la dépendance des personnes âgées, il y a un service organisé par les Mairies à Paris et le centre d'Action Sociale, qui évite beaucoup d'arnaques. Longue vie à ta Maman
Ce que tu écris décrit la richesse de la vie, ses différents âges, nos acceptations, la mémoire qui se dilue, l'imprécision qui gagne. Des souvenirs perso émergent, qui pincent encore le coeur.
je sais pas comment dire autre chose que "tu m'as fait pleurer" et juste parce que c'est exactement ce que je crains pour les miens....
Comme une boule dans ma gorge...
Ma mère est partie en deux fois, plutôt en deux temps. D'abord mentalement : sa personnalité, sa gourmandise de la vie, sa relation aux autres... puis physiquement, définitivement, complètement. Rideau, extinction des feux.
La première étape s'est déroulée par étapes, l'air de rien, mais a été la plus pénible. Le grand mystère, ma grande douleur est de me demander encore maintenant si elle s'en est aperçue.
Je trouve ta mère en pleine forme de faire des prévisions ainsi , la mienne à quelques semaines de sa mort faisait l’effort de marcher seule avec son déambulateur , en refusant comme ses collègues le fauteuil roulant, et avait pu arracher à l’équipe soignante la possibilité de ne plus avoir des couches le jour. Et elle est partie en une semaine après la visite de ses petits-enfants l’avant-veille,jusqu’à le fin elle a été un sujet d’étonnement pour moi, et j’espèer partir comme elle même si je ne suis pas trop pressé…
Je te souhaite de bons moments avec elle longtemps encore
Ben moi aussi ma gorge s’est serrée, à la dernière phrase…
Très émouvant et tellement vrai. Peut-on se préparer à la perte des êtres chers ? Rien n’est moins sûr. Je suis de tout cœur avec toi…
Merci Carole, et bienvenue ici :-)