Sous les cailloux de la baie d’A. (1)
Par Kozlika le jeudi 25 mars 2010, 19:31 - Lien permanent
(Attention, billet garanti MPP[1])
Je suis partie de chez ma mère à dix-sept ans. Ah non, je me trompe. Lorsque j’avais dix-sept ans, mon copain est venu habiter avec ma mère et moi et puis avec un autre pote, dans une espèce de communauté familiale et amicale. Puis, lorsque j’ai eu dix-neuf ans, mon copain et moi nous sommes installés dans un appart tous les deux.
Je n’ai jamais pris aucune décision importante seule, je n’ai jamais rien possédé en mon nom propre hormis mes livres et mes fringues jusqu’à notre séparation d’avec le père de mes enfants. J’ai accepté un contrat à durée indéterminée dans la Vénérable Entreprise à l’issue de longues discussions quant au pour et au contre avec mon compagnon. Une amie montait sa boîte de PAO au même moment, elle me proposait une association, mais c’était trop incertain. Aujourd’hui encore, je serais incapable de dire dans quelle proportion nos décisions étaient les miennes ou les siennes. Il en est peut-être de même pour lui, je ne sais pas. Je ne le crois pas en raison notamment de notre écart d’âge et de sa propension à se prendre pour un Grand Sage.
On pourrait chanter Vesoul façon Kozlika. On est allés dans les Cévennes acheter un mas en ruine à retaper. 200 mètres carrés habitables de potentiel, 200 mètres carrés d’illusions, une caravane dans la réalité, puis une maison un peu moins en ruine que la nôtre qu’on a louée quelques mois. En tout, un an et demi. On est revenus à Paris. Intra-muros les loyers étaient trop chers en rapport qualité-prix compte tenu de l’épargne que nous devions continuer à faire pour de « vrais projets ». On est allés habiter au Kremlin-Bicêtre. Le ciel y était trop gris, le soleil du Midi trop loin, on est allés habiter à Marseille. Nous y avons fait le premier nid du premier bébé. Et puis les salaires y étaient trop bas, les emplois de correcteurs trop peu nombreux, on est revenus à Paris. Paris intra-muros était trop cher pour réaliser un « vrai projet ». Alors on a acheté à Ivry et j’ai accepté un CDI pour être sûre d’être en mesure d’assurer ma part de crédit.
J’ai été heureuse dans tous ces endroits-là, je ne les regrette pas. Mais c’était les nôtres et pas les miens. On pesait, on soupesait, on discutait, on s’alignait sur les exigences de l’un et les appétences de l’autre, ça donnait des projets très équilibrés, raisonnés et raisonnables. Rien de péjoratif là-dedans, j’avais besoin d’être rassurée et cette façon de dresser les colonnes de pour et de contre qu’on remplissait à deux me procuraient une certaine sérénité.
On s’est séparés. Nous étions convenus que c’est moi qui quitterais l’appartement avec les enfants, tandis qu’il mettrait notre bien commun en vente.
J’ai loué un chouette quatre pièces dans le treizième. Cher mais chouette. Dans Paris intra-muros. J’ai laissé tous les meubles à mon ex-compagnon. Je voulais du neuf, du vierge, du sans histoire, sans fantômes. Claire, ma sœur choisie, m’a aidée dans mes allers et retours chez le suédois et ailleurs, à charger et décharger, à monter et démonter lits et tables. Elle me donnait son avis mais je choisissais seule. C’était… c’était. En fait je ne peux pas vous dire, vous risqueriez de me trouver ridicule.
C’est devenu trop cher pour ma bourse. J’ai eu la chance incroyable de pouvoir bénéficier d’un appartement par le 1% logement, à prix bien plus raisonnable et que tous mes amis trouvent bien mieux que le précédent. Mais pas moi. Mais c’est raisonnablement bien mieux que le précédent, et pas seulement pour le prix. Je ne sais pas ce qui coince ici. Je parle de la petitesse des chambres, du temps de trajet rallongé. On me répond terrasses et duplex. Je peste distance du métro et eau chaude parcimonieuse. On me répond dernier étage et grande cuisine. Tout cela est vrai.
A ce point de ce billet, je sais ce qui coince. Cet appartement que j’occupe c’est un choix qui aurait pu être le nôtre, du bien pesé entre la colonne négatif et la colonne positif, cette dernière plus longue il est vrai. Rationnellement le choix fut excellent et puis de fait je sais bien que je n’avais pas le choix. Affectivement, j’ai quitté le lieu que j’avais choisi.
Entre-temps, l’ancien appartement a été vendu et je me suis retrouvée à la tête d’une demi-somme, bien trop importante pour passer dans les frais courants ou un voyage, bien trop mince pour acheter autre chose qu’un box à Paris ou pour constituer un premier apport avec crédit à la clé pour une résidence parisienne. Je les ai placés à la banque. Enfin quand je dis placés… en cinq ans cette somme m’a rapporté moins mille euros.
Notes
[1] Mega Problème de Privilégiés, appellation contrôlée des baleines aux mille défauts.
Commentaires
Ah, ces banquiers… tous des voleurs ! (Et au vu de ma nationalité, je pense être bien placé pour le savoir ! ;-) )
Ma mère m’a donné un tel sentiment d’insécurité que j’ai toujours fait des choix sécuritaires, au niveau professionnels surtout. Sauf ces deux dernières années, mais j’ai été poussée (le mot est faible) par les événements. Par contre, j’ai toujours tout choisi toute seule. Même quand j’étais mariée, de l’endroit où on habitait à celui où on partait en vacances… Mais, c’est fatigant ! Surtout quand on se plante ;-) Quand j’ai quitté notre appartement des Abbesses pour celui de la Goutte d’Or, je suis arrivée dans un endroit que je n’aimais pas, plus grand oui, moins cher un peu aussi. Mais que je n’aimais pas. J’ai senti tout de suite que j’avais fait une connerie en décidant ça. A posteriori, non, c’était une très bonne décision pour des tas de raisons. MAis pour nous, pour moi, c’était une connerie…
tu as donc appris avec cet avatar bancaire, qu’il ne faut jamais placer tous ses œufs dans le même panier…
Dans notre couple, je crois que c’est l’inverse.
C’est Mme qui est plutôt fourmi et moi plutôt cigale. Mais je reconnais que les décisions qu’elle a prises (et que j’ai validées soit par paresse, soit par amour…) toute au long de notre vie ont finalement donné de bons résultats.
Est-ce que c’est pas un peu surfait la notion de décision. Est ce qu’on est vraiment libres de faire nos choix ou sont-ils juste conditionnés par une série de circonstances ? Dans tous les cas c’est l’impression de décision qui reste…
Pour ma part je me force à prendre mes décisions, mais je trouve cela fatiguant… :) Pour le choix d’un appart par contre, je ne peux me résoudre à faire un choix logique. Forcément il y a des contraintes fortes (genre budget) mais si l’appart est théoriquement bon mais ne me plaît pas, c’est pas la peine.
Pourquoi ne pas changer ? La vie est trop courte pour se traîner des boulets non ? :)
Waouh! Les deux derniers billets sont du grand Kozlika, j’adore le style. Je sais pas trop quoi laisser comme commentaire à part “J’aime” ;)
Moi aussi je préfèrais l’autre appartement, celui que tu avais choisi. Tout y était mieux, sauf le prix…
Il avait une âme, celui-là non. Et ça vient uniquement de la construction elle-même. Le mépris avec lequel cet immeuble a été construit -où tout est n’importe quoi- contamine les espaces impossibles à s’approprier, quel que soit l’effort qu’on y mette.
Heureusement que tu as ta maison !!!
Celle-là, il suffit de la voir en photo pour savoir qu’on peut s’y faire son nid sans même faire aucun travaux.