Il me semble, mais c'est plus intuitif que raisonné, que si l'expérience préalable d'écoute de musique aide à déceler d'emblée une interprétation de qualité ou une interprétation médiocre, en revanche chacun est à même de poser sans se tromper un jugement lorsque les écoutes sont comparées. Nombre de ceux qui ont donné leur avis n'avaient pas ou peu d'expérience de l'opéra en général. Et pourtant aucun de vous ne s'y est trompé, l'unanimité s'étant faite autour de la préférence pour les écoutes 2 et 3, autrement dit les deux versions les plus « cotées » de ce panel : Anna Moffo et Renata Scotto.

Ne doutez jamais de vos oreilles, vous pouvez leur faire confiance.

L'écoute 1 : Virginia Zeani

Soprano roumaine née en 1925, ici en compagnie de Nicola Zampighi. J'aime beaucoup cette chanteuse, notamment dans sa très émouvante Traviata. Je vous la ferai certainement réentendre un jour dans ce rôle, où elle figure parmi mon panthéon d'interprètes. La mode autant que sa nature donne une ambiance « chanson réaliste » dans cet extrait de Rigoletto qui a peut-être souffert pour la comparaison de la conjugaison de mauvaises conditions d'enregistrement et de mon amateurisme technologique, mais je vous assure que c'est un sacré bout de femme. Pi en plus elle est beeeelle non ? Cet enregistrement réalisé par la RAI date de 1955.

L'écoute 2 : Anna Moffo

Soprano américaine née en 1932, elle est ici la fifille de Robert Merrill. Ma plus belle Gilda. Non seulement parce que je suis en tout état de cause fana assoluta mais aussi parce qu'elle réussit à modifier son timbre de façon spectaculaire entre « avant » et « après ». Je vous invite à écouter successivement « Gualtier Maldè » dans mon radioblog (lien Ecoutez la musique ci-dessus) puis ce duo. Elle aligne en outre des aigus jamais tirés, un désespoir perceptible mais pas outrancier, beaucoup d'émotion. Vous avez été bien sévères avec Merrill, plus qu'il ne le mérite je crois, mais c'est qu'il avait en face un concurrent redoutable sur la piste 3 ! Enregistrement RCA de 1963. Direction : Georg Solti.

L'écoute 3 : Renata Scotto

Soprano italienne née en 1934, avec l'immense Dietrich Fischer-Diskau. L'enregistrement de référence, et on le comprend, il est quasi parfait. Si je ne l'ai pas placé au sommet de mon choix c'est que toute admirative que je sois du travail de Renata Scotto, je ne suis pas séduite par son timbre : je n'aime pas ses aigus, la voix manque à mes oreilles du moelleux nécessaire à l'incarnation d'une toute jeune fille. Je sais que c'est une grande dame, mais elle m'émeut beaucoup moins qu'Anna Moffo, si je possède cette version c'est essentiellement pour DFD, absolument magistral, que nous aurons l'occasion de réentendre dans d'autres écoutes comparées de Rigoletto. Deutsche Gramophon, 1964. Direction Rafael Kubelik.

L'écoute 4 : Mado Robin

Soprano française née en 1918. Et Michel Dens en Rigoletto. Tout ce que je déteste : un texte en français, une façon de chanter dosée à 99% de pyrotechnie mâtinée de pépiements d'oiseau et à 1% d'incarnation dramatique, un baryton à pleurer d'ennui. Reconnaissons à leur grande décharge qu'à l'époque on se foutait comme de l'an quarante de donner quelconque vérité au personnage,[1] Et puis franchement l'orchestre euh... non je n'aime vraiment pas du tout. Dans Lakmé elle fit beaucoup mieux - mais moins bien que ... (une sucette au lait Pierrot Gourmand pour le gagnant). Le charme de cette interprétation tient tout entier dans une ambiance totalement surannée, et du coup un peu attendrissante. Enregistrement vinyle Pathé, 19??. Direction Pierre Dervaux.

Ecoute 5 : Laura Claycomb

Soprano américaine qui ne veut pas dire sa date de naissance. Un enregistrement live (radio broadcast) de 2001 avec Dmitri Hvorostovsky. Avis aux futures folles blogolyriques : il s'agit de notre future Gilda à la Bastille. Moui, donc on a bien dit : '« Rigoletto on l'écouterait même sous le casque d'un pouilleux », n'est-ce pas ? Et puis la pauvre est ici confrontée à la crème de l'élite du meilleur alors forcément ça ne joue pas en sa faveur. Nous jugerons donc sur pièces le 26 février !

Ecoute 6 : Maria Callas

Soprano américaine née en 1923. Rigoletto c'est Tito Gobbi. A prendre au sens strict du terme : Maria Callas est incomparable. Vos commentaires vont d'ailleurs dans ce sens. Vous sentez qu'il y a quelque chose d'autre mais vous ne mettez pas le doigt dessus. Dire que quoi qu'elle fasse elle reste Maria Callas ne serait pas exact car elle incarne réellement les rôles qu'elle chante[2]. Bien des lyricomanes sont tombés dans la soupière en l'entendant pour la première fois. Elle est fascinante. Honnêtement j'ai toujours du mal à me prononcer sur ses interprétations, hormis pour Lucia di Lammermoor car pour le coup tout ce qui me gêne dans les autres œuvres est ici parfaitement à sa place : Callas est une tragédienne avant tout. Alors sa Gilda ? Munie d'un gilet pare-balles et d'un bouclier anti-atomique, je dirais que j'aime beaucoup ce Callas et que je n'aime pas cette Gilda. Pas assez innocente, pas assez jeune, pas assez naïve. Un disque EMI enregistré en 1955 et dirigé par Tulio Serafin.

Et maintenant que vous savez tout, qu'en pensez-vous ? (Question subsidiaire : on en refait d'autres d'ici le 26 février ?)

Notes

[1] M'enfin Magda Olivero qui chantait à peu près la même époque ne lésinait pas (voire pas assez) sur la question.

[2] A la différence d'un Gabin qui fait du Gabin quoi qu'il arrive par exemple.