Six sopranos, six Gilda, vous êtes experts
Par Kozlika le dimanche 22 janvier 2006, 19:24 - Lien permanent
Elles étaient six sopranos offertes à l'écoute pour le même air de « Tutte le feste ». Pour que ceux qui débarquent maintenant puissent comparer « en aveugle » les différentes interprétations (il est encore temps de faire part de vos impressions), je révèle leurs noms dans la deuxième partie de ce billet, accessible via le lien Lire la suite ci-dessous. Et pour ceux qui lisent ce billet via leur lecteur RSS, fermez vite cet agréateur ;-)
Il me semble, mais c'est plus intuitif que raisonné, que si l'expérience préalable d'écoute de musique aide à déceler d'emblée une interprétation de qualité ou une interprétation médiocre, en revanche chacun est à même de poser sans se tromper un jugement lorsque les écoutes sont comparées. Nombre de ceux qui ont donné leur avis n'avaient pas ou peu d'expérience de l'opéra en général. Et pourtant aucun de vous ne s'y est trompé, l'unanimité s'étant faite autour de la préférence pour les écoutes 2 et 3, autrement dit les deux versions les plus « cotées » de ce panel : Anna Moffo et Renata Scotto.
Ne doutez jamais de vos oreilles, vous pouvez leur faire confiance.
L'écoute 1 : Virginia Zeani
Soprano roumaine née en 1925, ici en compagnie de Nicola Zampighi. J'aime beaucoup cette chanteuse, notamment dans sa très émouvante Traviata. Je vous la ferai certainement réentendre un jour dans ce rôle, où elle figure parmi mon panthéon d'interprètes. La mode autant que sa nature donne une ambiance « chanson réaliste » dans cet extrait de Rigoletto qui a peut-être souffert pour la comparaison de la conjugaison de mauvaises conditions d'enregistrement et de mon amateurisme technologique, mais je vous assure que c'est un sacré bout de femme. Pi en plus elle est beeeelle non ? Cet enregistrement réalisé par la RAI date de 1955.
L'écoute 2 : Anna Moffo
Soprano américaine née en 1932, elle est ici la fifille de Robert Merrill. Ma plus belle Gilda. Non seulement parce que je suis en tout état de cause fana assoluta mais aussi parce qu'elle réussit à modifier son timbre de façon spectaculaire entre « avant » et « après ». Je vous invite à écouter successivement « Gualtier Maldè » dans mon radioblog (lien Ecoutez la musique ci-dessus) puis ce duo. Elle aligne en outre des aigus jamais tirés, un désespoir perceptible mais pas outrancier, beaucoup d'émotion. Vous avez été bien sévères avec Merrill, plus qu'il ne le mérite je crois, mais c'est qu'il avait en face un concurrent redoutable sur la piste 3 ! Enregistrement RCA de 1963. Direction : Georg Solti.
L'écoute 3 : Renata Scotto
Soprano italienne née en 1934, avec l'immense Dietrich Fischer-Diskau. L'enregistrement de référence, et on le comprend, il est quasi parfait. Si je ne l'ai pas placé au sommet de mon choix c'est que toute admirative que je sois du travail de Renata Scotto, je ne suis pas séduite par son timbre : je n'aime pas ses aigus, la voix manque à mes oreilles du moelleux nécessaire à l'incarnation d'une toute jeune fille. Je sais que c'est une grande dame, mais elle m'émeut beaucoup moins qu'Anna Moffo, si je possède cette version c'est essentiellement pour DFD, absolument magistral, que nous aurons l'occasion de réentendre dans d'autres écoutes comparées de Rigoletto. Deutsche Gramophon, 1964. Direction Rafael Kubelik.
L'écoute 4 : Mado Robin
Soprano française née en 1918. Et Michel Dens en Rigoletto. Tout ce que je déteste : un texte en français, une façon de chanter dosée à 99% de pyrotechnie mâtinée de pépiements d'oiseau et à 1% d'incarnation dramatique, un baryton à pleurer d'ennui. Reconnaissons à leur grande décharge qu'à l'époque on se foutait comme de l'an quarante de donner quelconque vérité au personnage,[1] Et puis franchement l'orchestre euh... non je n'aime vraiment pas du tout. Dans Lakmé elle fit beaucoup mieux - mais moins bien que ... (une sucette au lait Pierrot Gourmand pour le gagnant). Le charme de cette interprétation tient tout entier dans une ambiance totalement surannée, et du coup un peu attendrissante. Enregistrement vinyle Pathé, 19??. Direction Pierre Dervaux.
Ecoute 5 : Laura Claycomb
Soprano américaine qui ne veut pas dire sa date de naissance. Un enregistrement live (radio broadcast) de 2001 avec Dmitri Hvorostovsky. Avis aux futures folles blogolyriques : il s'agit de notre future Gilda à la Bastille. Moui, donc on a bien dit : '« Rigoletto on l'écouterait même sous le casque d'un pouilleux », n'est-ce pas ? Et puis la pauvre est ici confrontée à la crème de l'élite du meilleur alors forcément ça ne joue pas en sa faveur. Nous jugerons donc sur pièces le 26 février !
Ecoute 6 : Maria Callas
Soprano américaine née en 1923. Rigoletto c'est Tito Gobbi. A prendre au sens strict du terme : Maria Callas est incomparable. Vos commentaires vont d'ailleurs dans ce sens. Vous sentez qu'il y a quelque chose d'autre mais vous ne mettez pas le doigt dessus. Dire que quoi qu'elle fasse elle reste Maria Callas ne serait pas exact car elle incarne réellement les rôles qu'elle chante[2]. Bien des lyricomanes sont tombés dans la soupière en l'entendant pour la première fois. Elle est fascinante. Honnêtement j'ai toujours du mal à me prononcer sur ses interprétations, hormis pour Lucia di Lammermoor car pour le coup tout ce qui me gêne dans les autres œuvres est ici parfaitement à sa place : Callas est une tragédienne avant tout. Alors sa Gilda ? Munie d'un gilet pare-balles et d'un bouclier anti-atomique, je dirais que j'aime beaucoup ce Callas et que je n'aime pas cette Gilda. Pas assez innocente, pas assez jeune, pas assez naïve. Un disque EMI enregistré en 1955 et dirigé par Tulio Serafin.
Et maintenant que vous savez tout, qu'en pensez-vous ? (Question subsidiaire : on en refait d'autres d'ici le 26 février ?)
Commentaires
Les liens AllMusic, ils marchent pas. Voilà les bons :
Virginia Zeani :
http://www.allmusic.com/cg/amg.dll?p=amg&sql=41:61780
Anna Moffo :
http://www.allmusic.com/cg/amg.dll?p=amg&sql=41:40901
Merci m'sieur, corrigé !
Ben, je suis pour le coup assez contente de mes choix. D'emblée j'ai aimé Anna Moffo avant même d'écouter le CD que tu nous avais conseillé. Et même sans connaitre La Callas, j'avoue que j'ai été touchée par son interprêtation.
Oui, Callas a tendance à trop dramatiser les choses : c'est plus une Médée qu'une Gilda. Sa naissance grecque n'est sûrement pas étrangère à sa fibre tragique. Je la trouve fantastique dans le Lucia live dirigé par Karajan, mais là, non... Même remarque pour Scotto qui n'est pas vraiment à l'aise dans le registre colorature. Ici, Moffo l'emporte haut la main : elle est ssssssublime !
Stefano, je te décerne d'emblée une carte de commentateur VIP sur ce blog ;-)
Comme je disais, je suis nulle, j'ai pas reconnu Anna Moffo (je me suis juste dit ''oh la la comme ils chantent bien ces deux là, oh c'est pas possible comme ils chantent bien", mais je n'ai pas ressenti l'émotion qui pourtant me prend quand j'écoute le A à Z de cet enregistrement là). Et celle qui m'a la plus émue est donc finalement Renatta Scotto.
J'espère pour Laura Claycomb qu'on sera moins tousseux que son public de 2001 ! Je l'avais trouvée plutôt bonne mais comme génée par le tempo pris, reste à voir quelle sera l'interprétation de l'orchestre de la Bastille. Je suis perplexe pour La Callas car j'ai cet enregistrement d'elle en 1955 et je n'avais pas remarqué cet accent gênant.
Autrement dit, pour les cantatrices c'est comme pour les whiskies, en dégustations à l'aveugle je le suis :-) ! Peut-être j'ai plus de chance (à l'écoute, pour le reste je peux garantir que non) avec les hommes, comment je l'avais repéré au premier coup d'oreille le "bon" papa :-) !
J'aime bien comment tu racontes la 4. Et je suis finalement bien contente de ma petite tendresse du vieux 1.
pour la question subsidiaire et avec un scrupule parce que je sais ton peu de temps : oh oui oh oui oh oui.
Stefano !
Maria Callas est née à New York, USA !!!!! Pas en Grèce !
Roh ! mais enfin Ruffo, tu ne vas pas me gâcher un commentaire si avisé ! Il voulait dire : ses origines greques m'enfin ! N'est-ce pas Stefano ?
Tssssst c'est pas comme ça que tu vas gagner une carte de VIPComment toi.
Mais bienvenue quand même ;-)
Ben Moi M'dame je sens que je m'éloigne de la place près du radiateur : Ma plus belle Gilda à moi z'aussi c'était Anna Moffo ...
Et tu sais quoi en écoutant mon nouveau Cd, je l'avais même reconnue après coup. Tu ne me crois pas hein ;-)
Bonne semaine !
oui enfin ça veut pas dire grand chose le lieu de naissance, j'ai beau être née dans un endroit très chic (Saint Germain en Laye) je suis du fin fond de ma banlieue et je me retrouve à vivre à Paris ou peu s'en faut une vie dramatiquement italienne, probablement parce qu'issue d'un papa qui était de là-bas (toute ressemblance avec un personnage d'opéra (ah tiens, lequel ?) est purement fortuite ;-) )
J'adore l'idée des écoutes aveugles. 8oD Je trouve ça très ludique, surtout pour un béotien comme moi. En plus, je constate que je rejoins les goûts de notre hôtesse presque sur tout sans pour autant avoir eu la tentation de fayotter le moins du monde. PAr contre, je n'ai toujours pas réussi à saisir ce qui faisait que Callas avait un son étrangement différent à mon oreille. Et je tiens à préciser que mes appréciations envers Merril ne sont sévères que parce que je n'ai que la culture musicale de bas étage dans laquelle je me complaîs et qu'il y a sans doute des comparaisons plus flatteuses que celle que j'ai employé pour définir mon ressenti face à sa voix.
Ah ça alors ! malgré le persil qui encombre mes oreilles, j'ai su préférer d'instinct une "bonne version" - celle de Renata Scotto. Même qu'après (encore plus fort) j'avais reconnu la Callas. Mais ne me suis pas assez fait confiance pour le dire. À cause du persil. Pis de toute façon, je préférais Renata Scotto. Une autre dégustation à l'aveugle ? oui oui bien sûr !
Oui, je n'ai pas été gentil pour le lieu de naissance de Maria Callas, pardon. Pour reprendre mon premier commentaire (je n'ai pas écouté les versions 5 et 6 publièes plus tard), la version 3 (Scotto) était, stylistiquement, "stratosphériquement" au dessus du lot. Une chose m'étonne dans les choix de Kozlika : l'engouement pour la version 1 (Zeani). Pour moi, il n'y a là rien, mais rien à en retenir. Son style (c'est mon sentiment) est celui d'une vulgaire chanteuse vériste, avec soupirs, exhalaisons, notes poitrinées, tout ce que je déteste. La partition, toute la partition, rien que la partition. Et puis le style ! L'Italianita. Je sais qu'il est, depuis quelques temps, très à la mode de déguster Zeani, sous l'impulsion de Charles Handelman et sa bande de collègues des USA amateurs de décibels, mais bon, ce n'est vraiment pas bon, pas bon du tout. Evidemment, chacun est libre de goûter ce qu'il aime et de le dire. Qui a écouté Gruberova dans Norma samedi soir, en direct de Munich ? C'était exactement la même chose ! Le contre sens, pire, le non sens. Pardon à tous pour mes commentaires.
Un p'tit commentaire un tantinet hors sujet : ton journal préféré nous parle de la métamorphose de Natalie Dessay mais peut-être l'as-tu déjà lu ...
Ouh la la, il faut pas taper trop vite sur son clavier en ces parages érudits ... Oui, cher Ruffo, Callas est née à New York, mais ses deux parents étaient grecs et elle a quitté les Etats- Unis à l'âge de quatorze ans. Sa formation musicale s'est faite au Conservatoire national d'Athènes, où elle habitait, tout près du Parthénon. Elle ne cesse de préciser dans ses multiples interviews : "Mon sang est purement grec, je me sens grecque tout entière..." Tout ceci n'est certainement pas étranger au fait qu'elle a triomphé dans "Médée" et "Norma" plutôt que dans "Porgy and Bess" et "West side story" : c'est tout ce que je voulais dire !
Mais que viennet faire ici Porgy and Bess ou West Side Story qui sont de la musiquette, non de l'Opera ?
Maria Callas a été une éponge à cultures, ce fut sa grandeur, son mystère. Italienne en Italie, Française en France, tout cela se retrouve dans son style, sa manière de dire les mots. Ne connaissant pas de littérature musicale venue de Grèce, je ne peux pas parler de son interprétation en cette langue ou culture.
Ensuite, faire de Norma ou Médée des héroïnes de théâtre grec, je veux bien ; Bellini et Cherubini ne sont plus là pour te répondre. Personnellement, je les ressens comme plus purs modèles du romantisme italien... mais peux me tromper.
Ricou, non je n'avais pas vu cet article, grand merci ! Je n'ai hélas pas de place pour aller écouter Natalie demain :( Je suis sensible à la dernière citation de ND (un seul regret, celui de n'avoir pu chanter sous la direction de Carlos Kleiber) car c'est un chef que j'apprécie énormément moi aussi (sa Traviata avec Ileana Cotrubas par exemple).
Pour rebondir indirectement sur le commentaire 13 de Ruffo ci-dessus - et finalement pas si loin d'une homérique et réjouissive bataille qui nous opposa en ces lieux, j'aime Zeani précisément pour ce côté chanson réaliste, ce qui ne m'empêchera pas d'aimer la classe de Fischer-Diskau, la sensualité d'Anna Moffo, la délicatesse d'une Von Stade, etc.
Le duo Germont/Violetta par Zeani et Herlea (dans mon juke-box), la lecture de la lettre (toujours Traviata) par Claudia Muzio, celle de Macbeth par Sylvia Sass, « Der Holle Rache » (La Flûte) par Edda Moser, ne sont sûrement pas ce qui se fait de plus subtil mais j'aime bien leur côté « déménageur ». Ce qui ne m'empêche pas d'aimer aussi « Pace, pace, mio dio » par Leontyne Price ou « D'amor sull'ali rosee » par Caballe !
Je fonctionne de façon au sens strict du terme de façon irraisonnée dans mes appréciations d'une interprétation et ne me préoccupe guère du style : je ne le revendique pas, je le constate dans mes choix.
J'abuse de ma carte VIP gracieusement offerte par Kozlika pour préciser à M. Ruffo que je parlais du sens inné du TRAGIQUE chez Callas et de sa capacité prodigieuse à habiter chacun de ses rôles avec une intensité inégalée. J'émettais dons la modeste HYPOTHESE que ses origines grecques n'étaient pas tout à fait étrangères à cela! Médée et Norma sont des héroïnes TRAGIQUES, et la Grèce a été le berceau de la tragédie ... Que je sache, Cherubini n'a pas inventé le personnage de Médée ! Va voir ou revoir le film de Pasolini et tu comprendras ce que je veux dire. Quant à l'expression "Maria Callas a été une éponge à cultures", preferisco stendere un velo pietoso; si commenta da se...
Le neurone épuisé par une longue journée de dur labeur payé comme ça peut, j'arrive ici pour respirer, et me dis qu'il faut bien être une fée des blogs pour rassembler en un même lieu fût-il virtuel, une si brillante alternance de billets pornographiques ;-) et de discussions passionnées et (un peu trop) érudites (pour moi) sur l'opéra. Je regrette infiniment les circonstances qui président à la publication de la première catégorie, mais pas l'ensemble du résultat. C'est beau, tout simplement ; et après une journée d'usine et de solitude surpeuplée ça vous raccroche au paradis ;-) .
Gilda, sei un angelo...
E vero, e vero.
Laura Claycomb est nee en 1968. Elle ne cache rien, c'est sur le site de La Scala.