Bridgeuse zone
Par Kozlika le vendredi 18 avril 2008, 10:43 - Lien permanent
J'avais un ami qui se languissait tant du bridge auquel il jouait enfant avec son grand-père qu'il avait entrepris de nous apprendre à son compagnon, le mien et moi les règles de ce jeu. Nous avons ainsi fait quelques parties nocturnes. Au bridge il n'y a pas de bon ou de mauvais jeu. Avec les cartes que vous avez vous et votre partenaire vous devez annoncer combien de plis vous allez faire et vous perdrez autant si vous en faites plus que si vous en faites moins qu'annoncé. Une fois la première manche jouée, l'équipe qui l'a gagnée devient «vulnérable» à la manche suivante.
Je l'avais totalement oublié jusqu'à cette nuit et puis ça m'est revenu parce que j'ai cherché sans le trouver hier soir le mot qui me manquait pour décrire à mon ami Papillon l'état dans lequel je me sens en ce moment.
Vulnérable. Au bridge lorsqu'on est vulnérable les gains et les pertes sont multipliés. Comme au bridge l'apression m'a distribué une nouvelle donne, et puisque j'ai gagné la première manche en acceptant que quelque chose ne va pas je me suis donc rendue vulnérable ; à l'issue de la partie, me dis-je, je gagnerai ou perdrai plus qu'aux manches précédentes. Je pourrais continuer à filer la métaphore en disant que comme au bridge j'ai à me soucier de définir le contrat, ce que je ferai de ces cartes et non chercher à gagner le plus de plis possible, mais elle s'arrêterait là, car je ne joue contre personne, pas même contre moi, ou peut-être un peu : celle qui a peur du changement contre celle qui y aspire.
Cette notion de vulnérabilité dans sa définition du dictionnaire étendue à son emploi particulier au bridge je la retrouve aussi au sujet de ce blog et elle m'évoque des discussions récentes, par mail avec Otir et de vive voix avec une sorcière de ma connaissance. Je disais avoir beaucoup d'amis avec lesquels ma parole est libre et une dame qui n'est là que pour m'écouter. Quel enjeu ici alors me fait m'exprimer ? Il est complexe. Pas compliqué, mais complexe.
Commençons par nous flatter et en appeler à notre altruisme. A l'occasion de deux billets concernant mes attaques de panique j'ai constaté que certains maux sont si rarement exprimés publiquement que ceux qui en souffrent pensent être a-normaux et éprouvent un véritable soulagement à savoir que d'autres connaissent cette même douleur, que ça les aide de le savoir, qu'ils se sentent moins «fous», moins étranges au moins. Je l'ai d'ailleurs ressenti ce soulagement moi aussi à travers vos commentaires ou vos mails : savoir que je n'étais pas censée pleurer du matin au soir pour donner crédit à ma... choucroute m'a infiniment soulagée. Si je peux, au travers de mes billets et vos commentaires, transmettre ce témoin, ce réconfort, à d'autres, j'en serai très heureuse.
Mais bien sûr c'est aussi et surtout pour ma pomme.
La famille dont je suis issue s'attriste pour moi et tente de m'aider à coups de propositions de diversions diverses : tu devrais aller voir telle expo, tu devrais lire tel livre, tu devrais t'aérer la tête, tu devrais, tu devrais. Ça part d'un bon sentiment mais ça ne laisse pas beaucoup de place au truc que vous me recommandez toujours, vous savez ce truc bizarre et dangereux, là... ah oui : le lâcher-prise.
La famille que j'ai créée s'attriste pour moi mais aimerait bien que ça ne change rien, ok pour le concept mais alors si tu pouvais le faire discrètement ça serait bien, surtout : qu'ici ça ne change rien. C'est normal, c'est sain, mais toujours pas de place pour le truc-machin.
Les collègues, plus globalement les relations sociales « publiques » (comprendre non intimes) me renvoient, ou du moins est-ce ainsi que je le perçois, l'image d'une tire-au-flanc ou en tout cas d'une vacancière éventuellement victime d'une grosse fatigue. Ça n'est d'ailleurs pas de leur faute, mon laisser aller étant inversement proportionnel au degré d'intimité, on a peine à croire que je ne pète pas la forme, vu de « dehors ». Je sais bien que je m'y emploie et je ne le leur reproche pas.
Reste, pour l'expression de la sincérité, la psy et les amis. L'une et les autres me sont évidemment fort précieux et même contre deux barils d'antidépresseurs je ne les échangerais pas (oups tiens d'ailleurs j'ai pas pris ma pilulle rose encore ce matin). Mais la parole auprès d'eux est une parole privée et j'ai besoin de me confronter, de confronter cette sorte de flou des possibles à ma personne publique et pas seulement dans le confort de l'amitié. J'ai joué la première manche et gagné une parole sincère sur ce blog, ce qui me rend vulnérable, tant au regard des règles du bridge que vulnérable tout court.
Je joue vulnérable ici.
Commentaires
Vulnérable, on l'est. De la première à la dernière seconde, où l'on finit "vaincu" (ou bien, on achève un cycle, selon ce à quoi on croit ou pas).
La vraie différence dans les états d'esprit, me semble-t-il, c'est qu'à certains moments, on sent qu'on l'est et à d'autres moins. Parfois on se sent invincible à l'occasion d'euphories puissantes, aussi, illusoire, bien sûr...
Bref. Vulnérable, bien sûr tu l'es, comme chacun de nous. Mais toutes les questions qui se posent, auxquelles tu vas répondre en fonction de ton jeu du moment, et des contrats que tu auras envie de passer (ou que tu feras en fonction de la donne), ça sera les bases d'une prochaine partie, puis d'une suivante, etc...
Et juste pour le plaisir d'un sourire partagé sur les mots du bridge, à la fin de ce billet, j'espère que ça te donnera des idées pour tes prochaines parties, toi qui est joueuse dans l'âme et dans les mots.
Vulnérable, on l'est. De la première à la dernière seconde, où l'on finit "vaincu" (ou bien, on achève un cycle, selon ce à quoi on croit ou pas).
La vraie différence dans les états d'esprit, me semble-t-il, c'est qu'à certains moments, on sent qu'on l'est et à d'autres moins. Parfois on se sent invincible à l'occasion d'euphories puissantes, aussi, illusoire, bien sûr...
Bref. Vulnérable, bien sûr tu l'es, comme chacun de nous. Mais toutes les questions qui se posent, auxquelles tu vas répondre en fonction de ton jeu du moment, et des contrats que tu auras envie de passer (ou que tu feras en fonction de la donne), ça sera les bases d'une prochaine partie, puis d'une suivante, etc...
Et juste pour le plaisir d'un sourire partagé sur les mots du bridge, à la fin de ce billet, j'espère que ça te donnera des idées pour tes prochaines parties, toi qui est joueuse dans l'âme et dans les mots.
Arg, je jure que j'ai cliqué qu'une fois. En revanche j'ai bien oublié le lien !
Et puis, comme disait Cyrano, il y a aussi le panache. ce qui n'est pas rien.
Plein de bises.
Pilule jaune pour moi,vulnérable aussi en ces jours.
Lâchons prise,glissons vers un tertre plus ferme,peut-être plus lumineux.
Cultivons une bonne dose d'égoïsme sans remords,
Sois patiente avec TOI MÊME.
Bises.
Le vulnérable du bridge surtout du fait d'avoir gagné la première manche c'est tout à fait ça.
Je me retrouve mots pour mots dans ce que tu écris au sujet des "billets confiés" (en prenant dans ton cas l'exemple des crises d'angoisse).
Je suis bien placée pour comprendre la nécessité d'une part publique, en plus qu'il y a parfois un effet "bouteille à la mer" et que ça peut marcher. Je suis pas brillante en ce moment mais je préfère ne pas imaginer ce qu'il en serait si en septembre dernier un de mes lecteurs jusqu'alors silencieux et que je lisais sans connaître n'avait pas répondu plus que présent à un mot que je lui avais envoyé pour une tout autre raison. Sa distance le rendait plus à même d'analyser certaines choses et d'en offrir un retour direct et sans prendre des gants. C'était exactement ce qu'il fallait à une gilda en perdition.
Le risque est aussi de se prendre des retours brutaux, puisqu'on est lues par qui veut bien. Mais la possibilité du premier cas en vaut bien la chandelle.
Enfin et un peu à côté du propos mais comme en complément, plus ça va plus j'ai l'impression (vraie ? fausse ? issue du fait que ça va pas ?) que l'écriture et la parole ne font pas gigoter les mêmes coins du cerveau, au moins chez moi ; pour tenter de "dire" et comprendre le même chagrin, d'un côté ça coule comme un fleuve en larmes à la fonte des neige, de l'autre il faut que j'arrache chacun d'eux.
Je crois savoir un peu pourquoi : l'écriture permet le dire à travers transposition et fiction et au moins pas de côté ou métaphores, la parole, si l'on n'est pas un conteur spécifique, est censée exprimer tout droit ce qui est. Et quand ce qui est fait mal ...
« l'écriture et la parole ne font pas gigoter les mêmes coins du cerveau » aaaah ! et qu'est-ce qu'elle avait dit Mââme Kozlika au bistrot de l'Enclos du temps hein hein ?
La vulnérabilité ... Cette façon de s'offrir plutôt que de souffrir ...
Je pense immédiatement à la vulnérabilité de l'artiste, comédien, auteur, peintre, être artiste c'est toujours cette sorte exact de mise en danger ... C'est exactement ça que j'aime voir sur une scène de théâtre, il n'y a pas plus touchant, plus troublant, plus vibrant, plus vivant, que cette vulnérabilité...
Vulnérable et contrée ! Je crois que tu as surcontré et que tu vas réussir ton 4 piques plus 1, cela fait
1480 points (tournoi), donc un chelem !
Vulnérable aux coups certes, mais aussi à la caresse...
La caresse d'une main
La caresse du soleil (demain alors)
Et les trois nains qui partent à la mine
Plein de courage pour oser le lacher-prise, le changement, l'inconnu...
J'ai un collègue qui vient de subir une opération (le coeur eh oui), il a droit à tous les égards qu'il mérite, et je suis bien d'accord.
En revanche, une collègue qui souffre d'une grosse apression, elle, n'a droit qu'à des commentaires assez disgracieux, alors que franchement elle en bave vraiment...
Si tu avais une jambe cassée, voilà tu serais immobilisée, ce serait une vraie maladie, une vraie de vraie, et personne n'aurait l'idée de te dire, il faut se remuer, se changer les idées, sortir,...
Mais alors quoi, on n'a pas le droit d'être vulnérable comme on peut ?
Des bises ma chère.
Je ne pensais pas avoir plusieurs bridgeurs (bridgeuses en l'occurrence) parmi mes lecteurs, faudra penser à créer un blog, Le Petit Bridgeur illustré par exemple, pour initier nos petits camarades, dont l'Amoureux, n'est-ce pas Anne ? ;-)
Shayalone, nous sommes d'accord. Ce que tu dis me rappelle d'ailleurs un entretien avec un psychiatre, après ma première attaque de panique. Je lui parlais de ma fragilité aux critiques ou attaques, même venant de parfaits imbéciles, et que j'enviais mon compagnon de n'y être pas sensible. « Etre perméable aux chagrins, aux critiques, c'est aussi l'être aux bonheurs et aux compliments m'a-t-il dit ; êtes-vous sûre qu'il est enviable ? »
Les douleurs de l'âme sont terribles, et difficiles à concevoir pour ceux qui n'en souffrent pas. Il faut s'aimer, se dorloter, se faire un coin à soi comme les animaux quand ils souffrent, s'isoler, être égoïste, se tisser un univers propre à soi et bienveillant dans lequel le monde n'entre pas... Quand ça va mieux on peut le quitter, il me semble. Mais comment faire? Je ne sais pas. Je laisse quand même un petit mot ici pour te rappeler que, s'il y en a qui ne comprennent pas, il y en a, en revanche, qui comprennent.
Mâââme Kozlika avait raison mais à l'époque je ne me sentais pas aussi ... euh ... dissociée (?) et puis je n'avais pas encore rencontré Simone Signoret
Au fait j't'avions point dit mais j'ai bien ri à ton titre. Are you gonna write some Chick Litt from now on ?
A la réflexion, il y a aussi un autre écart entre les mots écrits et les mots dits, mais qui ne joue que dans certains cas et en tout cas pour moi de maintenant. C'est lié à la confiance.
Des mots que je confie au papier ou à l'écran ont ce petit sas d'autonomie avant d'être lus par d'autres et compris ou non. Des mots dits, c'est à quelqu'un, une personne au moins. Et comme je souffre de perte de confiance, j'ai du mal à dire, persuadée à cause de ce qui m'est arrivé et pas seulement ces dernières années qu'on s'en servira une fois de plus contre moi puisque par exemple je me montre vulnérable.
quand on est vulnérable, il parait qu'on augmente les chances de faire ptit chelem à coeur. Et quand on fait ptich à coeur, on vise le Grand. Voilà tout ce que j'ai retenu du bridge et ce que je te souhaite
C'est justement cette ouverture vers les autres qui m'a de suite plu au travers des blogs. Une envie de partage, un porte ouverte sur son cœur, aux tréfonds de son âme. L'inavouable que l'on couche sur "papier" et qu'il est difficile d'exprimer oralement parce que "le dire " c'est le reconnaître.
Entre l'image que l'on donne et celle que l'on est véritablement il y a de sacrés fossés et j'avoue que découvrir ce côté "bancal" enfoui en chacun de nous m'a profondément libéré car m'a permis de m'autoriser à parfois "ne pas aller bien" sans en ressentir une grande culpabilité.
Je finirai comme cette lettre envoyée à Sophie Calle en version tutoiement : "Prends soin de toi".
Euh Vroumette, il est bon de dire à qui on aime "Prends soin de toi" et si j'ai moi aussi un seul ordre et un seul à jamais donner à Kozlika ce serait bien celui-là, mais le lier à la lettre reçue par Sophie Calle me semble un peu risqué : il s'agissait d'un mail de rupture assez tortueux (sur le mode je vous aime encore mais plus non plus) que lui avait envoyé l'homme qu'elle aimait alors ...
Enfin ce que j'en dis ...
Accepter de se sentir vulnérable, c'est pas le début du "lâcher prise"?
il est bien délicat de commenter alors que l'on vient d'arriver sur un blog et surtout sur une note comme celle là; juste te dire que je comprends oh combien tes mots et que ce qui est réconfortant en lisant ta note, c'est que l'on se sent moins seule face à nos faiblesses! qui sont aussi notre force attention! Notre Essence, nous, en tant qu'individus. Mais je m'égare! bonne journée!!
jardin > si mais quand je lâche une prise j'en saisis immédiatement une autre genre "et pourquoi j'emmerderais le monde avec mes états d'âme ?" ;-)
series > je comprends ce que tu veux dire, ça m'arrive souvent de rester longtemps à lire un blog avant d'oser y laisser un commentaire. La rose et le petit prince ? Merci de l'avoir fait.
C'est bien ce que je disais, le début!