Je les ai observés un long moment. Ils étaient arrivés peu après nous, marchant l’un à côté de l’autre d’un pas tranquille. Arrivés un peu à distance du bord de l’eau, ils avaient retiré leurs chaussures et l’homme les avait soigneusement disposées, les petites sandales rose bonbon dans les grandes sandales grises.

Ils s’étaient installés un peu à l’écart du chapelet de chasseurs de trésors que nous formions tous, professionnels de la pêche à la telline, habitués des environs et vacanciers. Nous nous étalions sur une longue bande de deux ou trois mètres de large, alignés sur la vague mourante de la marée descendante, guettant le ressac pour plonger les mains dans le sable et recueillir les précieux coquillages.

Ils ne se parlaient pas, ou très peu. La petite faisait glisser son râteau rouge qu’elle tenait dents en l’air le long du sable, comme pour le lisser, tandis que l’homme traçait des sillons légers avec ses doigts. Leur placement là où la mer s’était depuis un moment retirée autant que leur technique leur laissait peu de chances de faramineuse récolte, mais l’homme, qui pourtant voyait bien nos seaux se remplir, n’en avait manifestement cure, pas plus que la petiote. Leurs gestes étaient lents et mesurés, nonchalants. Pourtant, à chaque rare trouvaille que leur inédite méthode leur permettait, ils se congratulaient du regard et du sourire, la fillette plaçait avec soin la telline au fond de son seau orange, ils l’observaient avec fierté et retournaient à leur tâche.

D’un sourire en relevant la tête il m’avait autorisée à prendre des photos puis ne s’était plus occupé de moi. La gamine ne m’avait pas vue ou, plus probable, elle avait bien mieux à faire que s’occuper de cette inintéressante inconnue. Rarement aura plus paisible que celle flottant autour de cette paire m’aura autant frappée.

Je suis partie faire des photos plus loin, jetant de temps à autre un regard vers eux, toujours à la même place, le t-shirt rose fuchsia et le petit bob assorti éclatant sous le soleil près du seau et de la pelle.

un bonheur

Bien après que nous soyons retournés là où nous avions posé nos serviettes, sur le sable sec, je les ai vus revenir, de ce pas toujours si tranquille, dans ce silence toujours si serein, côte à côte.

Peut-être qu’il va la chercher à l’école tous les soirs à quatre heure et demie. Ou peut-être qu’il travaille très tard et que les vacances sont la seule période où ils passent de longs moments ensemble. Peut-être qu’ils ne se voient qu’un week-end sur deux et la moitié des congés scolaires. Peut-être qu’en temps ordinaire il n’a aucune patience et qu’il la gronde souvent ou qu’ils jouent ensemble au puzzle des heures entières. Peut-être qu’aujourd’hui, à l’heure où je vous écris, il pense que sa vie est moche et terne. Peut-être que dans dix ans, une jeune fille dira qu’elle a passé une enfance affreuse, un cauchemar.

Ce que je sais, ce que j’ai vu, c’est que dans cet ici et maintenant-là ils étaient infiniment heureux.