Orgasmes ferroviaires
Par Kozlika le jeudi 1 mai 2008, 16:29 - Lien permanent
Je me croyais jusqu'à tout à l'heure de la plus grande libéralité qui soit en matière sexuelle pourvu que ce soit entre adultes consentants. Je dois hélas à ma grande honte avouer mes limites, rencontrées en ce jour dans un wagon du Thalys, quelque part entre Paris et Utrecht.
La ravissante jeune fille assise derrière nous déroule en un flot continu ses cris d'extase. Elle s'adresse en fait à sa voisine mais sa voix vient jusqu'à couvrir les lecteurs mp3 dont nous nous sommes précipitamment collé les écouteurs au fond des oreilles. « Depuis que je l'ai rencontré, ma vie est devenue si évidente », raconte-t-elle. « Il est entré profondément en moi, si profondément que même quand je ne pense pas directement à lui je le sens en moi, toujours ; il me remplit. » Soupirs. « Et sa langue, ô madame, sa langue qu'on dirait faite pour moi, sa langue qui me comble matin et soir, et parfois même la journée. Ah, madame, si vous connaissiez sa langue vous comprendriez de quoi je parle... » Soupirs, halètements.
Elle passe soudain du vouvoiement au tutoiement. On comprend bien qu'après avoir partagé confidences si intimes, on peut se dire tu. Elle s'extasie encore : « Je me souviens parfaitement du jour où je l'ai rencontré, il y a deux ans. Tu penses bien: ça a bouleversé ma vie. » Amoureuse mais pas possessive pour deux sous, elle propose à sa voisine : « J'aimerais tellement te le faire connaître comme je le connais moi, tel que je le vois, tel qu'il est. »
N'en pouvant plus d'une heure de ce régime (la frustration sans doute), je finis par me retourner et lui souffler gentiment que j'essaie en vain de dormir : si elle pouvait quelque temps retenir ses orgasmes je lui en serais infiniment reconnaissante. Près de moi, Claire a mis Léo Ferré à fond pour tenter de préserver l'intimité de la jeune femme... ou la sienne. « Oh pardon, s'excuse la jeune amoureuse, j'arrête, j'arrête tout de suite. » Mais quelle force peut arrêter un tel amour ? Manifestement pas la mienne. Après avoir une longue minute réussi à ne plus parler de son amoureux, la voilà qui repart, en murmures étouffés d'abord, puis crescendo à mesure que sa passion l'envahit de nouveau.
Au regard au sourcil froncé que je lui lance à nouveau, elle tente tant bien que mal de réprimer ses pulsions, trouve une autre issue. J'ai encore la tête tournée vers elle tandis qu'ouvrant son sac, elle en extirpe une bible aux pages froissées à force d'être manipulées et tachées je ne veux pas savoir comment ni par quoi. Le regard plongé dans celui de son amant, elle rayonne, elle irradie de félicité.
Un long râle de jouissance sort de sa gorge. Dieu est en elle. Profondément.
Commentaires
A ce régime, j'en connais plus d'un qui retournerais fréquenter nos églises, A moins qu'elle ne se contente de la lecture chaude du cantique des cantiques, seul passage de poème érotique de la bible... peut être parmi les plus "hot" (7.6 à 7.13) ou (8.1 à 8.4) mais il y en a d'autre ;-)
Gilsoub, tu devrais lire les récits d'extases mystiques, en particulier celui de Sainte-Thérèse d'Avila :
Je voyais dans les mains de cet ange un long dard qui était d'or, et dont la pointe en fer avait à l'extrémité un peu de feu. De temps en temps il le plongeait, me semblait-il, au travers de mon cœur, et l'enfonçait jusqu'aux entrailles; en le retirant, il paraissait me les emporter avec ce dard, et me laissait tout, embrasée d'amour de Dieu.
La douleur de cette blessure était si vive, qu'elle m'arrachait ces gémissements dont je parlais tout à l'heure: mais si excessive était la suavité que me causait cette extrême douleur, que je ne pouvais ni en désirer la fin, ni trouver de bonheur hors de Dieu. Ce n'est pas une souffrance corporelle, mais toute spirituelle, quoique le corps ne laisse pas d'y participer un peu, et même à un haut degré. Il existe alors entre l'âme et Dieu un commerce d'amour ineffablement suave. Je supplie ce Dieu de bonté de le faire goûter à quiconque refuserait de croire à la vérité de mes paroles. Les jours où je me trouvais dans cet état, j'étais comme hors de moi; j'aurais voulu ne rien voir, ne point parler, mais m'absorber délicieusement dans ma peine, que je considérais comme une gloire bien supérieure à toutes les gloires créées.
Telle était la faveur que le divin Maître m'accordait de temps en temps, lorsqu'il lui plut de m'envoyer ces grands ravissements, contre lesquels, même en présence d'autres personnes, toutes mes résistances étaient vaines; ainsi j'eus le regret de les voir bientôt connus du public.
(coucou Kozlika, c'est chouette de bloguer dans le train!)
Ça fait vraiment cet effet là ? Il va falloir que je finisse par endosser (attention, je n'ai pas dit embrasser) les habits d'ecclésiastique dans ce cas, l'habit faisant peut-être le moine ? J'avoue tout de même ma perplexité devant ce phénomène. Que voulez-vous ? Mon athéisme teinté d'agnosticisme — à moins que ce ne soit le contraire — m'a toujours gardé de ces (d)ébats !
Tout ça me semblait génial, mais quelle chute ! Elle me rapelle cette autre jeune femme dans ce même lieu, dans le métro cette fois, qui ajustait son voile avant de sortir. Encore une fois, Dieu prend une place (trop) importante dans leurs vies. Je ne saurais quoi leur dire, parce que ces gens qui "connaissent" Dieu semblent heureux, mais ils semblent également perdre un temps fou et une foultitude d'expériences interdites.
Les voies (de chemin de fer) du Seigneur sont impénétrables. Pas celles des voyageuses apparemment.
Comme Samantdi, j'ai tout de suite pensé à cette pauvre Sainte Thérèse et ses charmantes extases mystiques. C'est quand même super fort d'en arriver à des états pareils toute seule. On appelait pas ça de l'hystérie, à Vienne il y a quelques dizaines d'années ?
Excellent!
Ne parlait-elle pas plutôt de la "parole" plutôt que de la "langue"?
Cela correspondrait mieux au langage habituel des évangéliques.
C'est dégoutant! Il y aurait pu avoir, il y avait probablement des enfants dans ce wagon! J'estime que c'est à moi de leur en parler quand le moment sera venu, et de ne pas les exposer à ces élucubrations lubriques en public. il faut créer un collectif, un blog, une entente parlementaire, une marche. Vite!
Heureusement que tu as précisé "jeune".
Je me doutais hélas trop bien de la chute. J'en ai croisées parfois.
Si je comprends bien Sainte Thérèse a pris le Thalys ce matin et son téléfonino bien en main.
Dans des cas de téléphonites intempestives, je suis souvent incapable de faire autre chose que d'éclater de rire, avec des résultats, on s'en doute assez variables. Mais généralement finalement calmants parce que la plupart des gens n'aiment pas faire rire à leurs dépends. Cela dit je n'ai jamais eu à concurrencer dieu aussi ouvertement ...
C'est stupéfiant ! De surprise et de plaisir à vous lire.
PS : quand même spôh juste, les unes ont un orgasme quand d'autres n'ont qu'une (simple) vision. ;-)
Belle patience !
M.> +1. Doux Jésus que je déteste ce genre de satané prosélytisme insidieux.
Elle n'est pas très exigeante, ta voisine de train : son amant, c'est un gros pervers qui cherche toujours à entrer dans le plus de monde possible, hommes, femmes, vieux, jeunes. Il a même dit un truc du genre "laissez venir à moi les petits enfants", le vieux saligaud et je me demande s'il n'a pas fait des cochonneries avec un âne et un bœuf dans une étable.
Sinon, c'est un cas de légitime défense où la phrase "je me taperais bien une religieuse, moi !", lâchée très fort dans le wagon, peut aimablement défouler.
Vivement que l'on voie et entende ça, mais je sais que deux amies (Coraline et Hélène présentes à Pirouésie hé hé, publicité éhontée) ont écrit ensemble du théâtre booléen. Les répliques du personnage au centre de la scène s'entendent à la fois :
- comme celles d'une mère supérieure à la prostituée côté cour,
- et celles d'une mère maquerelle à la soeur novice côté jardin.
Joli lapsus ! Lire :
- d'une mère supérieure à la soeur novice côté jardin,
- d'une mère maquerelle à la prostituée côté cour.
Tout comme M. LeChieur, je suis outré de voir cette perversité s'étaler complaisamment au grand jour. Pour l'âne et le bœuf, on peut accorder à l'amant de la demoiselle le bénéfice du doute, mais pour les enfants, c'est malheureusement avéré :(
Et queue fait la police, hein ?
Moi je suis morte de rire ! Et je vais directement au paradis !
Dire que si cette malheureuse avait eu des tendances saphiques, il est probable que personne ici n'aurait jugé bon d'en pondre un billet. Mais bon, on le commence à le savoir qu'il faut être tolérant avec tout le monde, sauf avec les croyants...
Polydamas > Ah ? Vous appelez ça être croyant vous ?
(Et sinon je vous invite vivement à nous pondre un billet sur les tendances saphiques de vos rencontres ferroviaires, je m'en régale d'avance, et de grâce ne nous épargnez aucun détail scabreux.)
J'ai malheureusement d'autres choses à faire qu'à commenter ce que je peux constater dans les transports en commun, vous m'excuserez... :-)
Excusez-moi mais qu'être croyant pour vous? Si je comprends bien cette fille ne l'est pas à vos yeux.