Attention, hagiographie assumée
Par Kozlika le dimanche 10 juillet 2005, 10:04 - Lien permanent
Pas si facile de faire un compte rendu du récital de Natalie Dessay. Les lecteurs habituels de ce blog ne s'attendent à rien d'autre qu'un déluge de compliments à l'adresse de l'Icône de la maîtresse de maison et se disent in petto que quoi que la dame ait chanté en ce jeudi 7 juillet au Théâtre des Champs-Elysées, la Koz s'extasiera et vous rebattra les oreilles d'un billet hagiographique.
J'aimerais vous surprendre aujourd'hui...
... mais je ne le ferai pas car en effet je me suis régalée, en effet j'ai été sous le charme du timbre, de l'engagement et de la musicalité de la soprano.
S'il me fallait trouver quelconque critique qui donnerait quelque crédibilité à la dithyrambe en contrepoint, je vous dirais que, comme d'habitude, le premier air était non pas raté mais nettement moins bon que le reste. Je ne comprends pas pourquoi Natalie Dessay s'obstine à chanter un « vrai » air en ses débuts de récital : envahie par le trac, crispée, sa première apparition sur scène manquait d'assurance. Dans ces conditions, choisir le « Boléro d'Elena », des Vêpres siciliennes me semble un choix curieux : Verdi n'est sûrement pas le répertoire où elle est le plus chez elle, et ce boléro n'est pas le plus facile qui soit pour une entrée dans le répertoire verdien.
Sans aller jusqu'à suggérer « Au clair de la lune » en guise d'entrée en matière, et sans être à même de suggérer par quoi elle devrait commencer[1], si quelqu'un de mes lecteurs pouvait émettre une théorie sur les raisons probables de son choix, ça m'éclairerait peut-être.
Hormis ce détail, car le « ratage » était très relatif, Natalie Dessay, portée, couvée, enlacée par un Evelino Pidò aux petits soins, nous a offert un récital 100% italien à même de faire taire les croque-morts compulsifs. Et c'est bien. Au-delà du bonheur direct apporté par la chanteuse, celui, différé, de la grande claque dans la gueule de ceux qui attendent la chute pour beugler un « je vous l'avais bien dit, elle est foutue » est de ceux dont je me suis délectée.
Le programme semblait tout spécialement concocté pour une lente montée vers l'acmé du/de la fan en délire : après le Verdi dont je viens de parler, Bellini[2] conclut la première mi-temps en nous laissant dans l'état vaporeux créé par des passages lents quasi hypnotiques. Et rassurés quant à l'état de la voix de notre anti-diva : elle a récupéré sa voix et gagné des graves amples et bien timbrés.
Après un entracte ou je m'assure auprès d'Alexia et d'autres amis rencontrés devant le théâtre que l'amour ne m'aveugle pas et que « Oualala, qu'est-ce que c'est beau ! » est un avis partagé par plus objectifs que moi, nous reprenons place pour une deuxième partie toute dévolue à Donizetti et sa Lucia di Lammermoor.[3] Version italienne, attendue par le public parisien car jusqu'alors Natalie Dessay n'avait interprété à Paris que la version française.
Natalie a quitté les talons aiguilles assortis à la robe rouge qu'elle porte pour ce récital. C'est pieds nus qu'elle arrive sur scène pour interpréter Lucia, pardon : pour être Lucia, avec cette capacité incroyable qu'elle a de rendre au récital une dimension théâtrale trop souvent omise ou peu traitée par les chanteurs lyriques dans ce type d'exercice. Avant qu'elle émette la première note, le regard est déjà perdu, égaré, le son de l'harmonica de verre me fait penser qu'il est bien dommage que la plupart des productions de Lucia emploient la flûte traversière pour le duo chanteuse/instrument.[4]
Une interprétation moins folle-à-lier que celle qu'elle donna à Lyon (passée plusieurs fois à la télévision) dans la version française, mais qui gagne en subtilité et en « resserrement ». On est dans la tragédie plus que dans la perte de pédales, en cela l'interprétation de jeudi se rapproche sensiblement - par son éclairage, pas par la voix ! - de celle qui me bouleverse tant à chaque écoute, par la Callas herself. Subjugué, cloué dans son fauteuil, le public retient son souffle jusqu'à l'ultime note puis éclate en applaudissements et cris d'admiration, la plupart debout. Evelino Pidò embrasse la chanteuse encore hagarde de longues secondes qui s'est blottie dans ses bras, avant qu'elle retrouve la terre ferme pour les saluts. Elle est heureuse, et nous donc !
On applaudit, on la rappelle : on voudrait à la fois rester sur ces moments forts et en entendre encore. Deux rappels : un autre air, ravissant, de la Somnambule et un « Quando men vo »[5] qui semble avoir été écrit pour elle, ramènent à plus de légèreté avant que Natalie Dessay, d'un geste de la main, nous signale la fin définitive de ce récital.
Vivement le prochain... Je suis déjà en manque.
Notes
[1] Pure réthorique.
[2] «Eccomi in lieta », I Capuletti e i Montecchi puis « Oh ! se una volta » suivie de « Ah ! Non giunge uman pensiero », La Sonnambula.
[3] « Regnava del silenzio », en duo avec sa prof de chant, Christine Schweitzer, dont la voix porte mal hélas), et les trois parties de la Scène de la folie.
[4] Je crois que c'est essentiellement lié à la rareté des musiciens sachant jouer de cet instrument.
[5] Puccini, La Bohême.
Commentaires
j'espère qu'elle aura un jour la bonne idée de faire un dévédé...
Ca existe, de bons DVD de récital ?
J'ai l'impression que l'intimité de ce type de spectacle se prète mal à la captation. Les spécialistes peuvent me contredire par des exemples ?
Oh oui ! Un petit DVD de Lakmé avec Natalie Dessay.
Aucune chance Benny : il n'existe aucun enregistrement vidéo officiel de sa Lakmé et à ma connaissance aucun pirate non plus. Et comme il est exclu qu'elle réendosse le rôle, cet espoir est à classer dans la boîte aux rêves perdus...
Sans aller jusqu'à suggérer « Au clair de la lune » en guise d'entrée en matière, et sans être à même de suggérer par quoi elle devrait commencer, si quelqu'un de mes lecteurs pouvait émettre une théorie sur les raisons probables de son choix, ça m'éclairerait peut-être.
Tu as donné toi-même la réponse : elle a construit un récital ascendant. Rêvant de mettre du "lourd" à son répertoire, elle tente Verdi, mais sachant que ce n'est pas là où elle réussira le mieux, elle commence avec.
En effet, ça me semble abrupt à moi aussi. Et puis, vu son format, on attendait davantage un Gualtier Maldè - même si ce genre d'airs décervelés et suraigus doivent moyennement l'enthousiasmer, à ce que j'ai pu comprendre.
J'attends la diffusion pour me faire une idée sur ce fameux "médium enrichi" qui est sur toutes les lèvres. Cependant ses annulations récentes ne laissent pas d'inquiéter ses admirateurs sur son état d'endurance vocale, qui est tout de même un aspect essentiel du métier, surtout lorsqu'on tient à forcer la nature.
David - spéculatif
concernant le choix de ses airs de début, si tu veux, je peux demander à son papa que je connais bien ;)
Lalune, mon coeur a manqué un battement ;-) Mes amitiés au papa de la dame.
Je pense que DavidLeMarrec a raison, ce qui ne m'explique pas pourquoi elle (ou les autres, c'est assez fréquent), ne chantent pas un truc dans lequel ils/elles sont super à l'aise et facile le temps de « dé-traquer » et ensuite se lancer dans l'air de Verdi - pour continuer avec l'exemple de Natalie Dessay.
Remarque, comme ça on ne sait pas si c'est le trac ou si c'est trop loin de sa voix, un bon moyen de jouer le bénéfice du doute :-D
Et quand je pense que je n'ai pas pu t'accompagner... La prochaine place qui se libère inopinément, je m'y rue !
Comment ça sa Lucie est passée plusieurs fois à la télé? Moi je n'ai vu que celle de Ciofi :'(
En ce qui concerne ses premiers airs de récital, et bien moi je dis: elle choisit un truc super dur pour elle, comme ça elle est obligée de se concentrer et donc de prendre le dessus sur le trac (interprétation toute personnelle).
Poussette : en effet, en intégrale seule la version avec Patrizia Ciofi a été enregistrée mais de larges extraits avec Dessay ont été diffusés plusieurs fois à la télé (la scène de la folie notamment).
Tu as peut-être bien raison pour le choix de l'air d'entrée, je n'y avais pas pensé mais ça tient debout :)
Si, si, il existe un pirate de la Lakmé à l'Opéra Comique avec Natalie. Certes l'image est précaire, mais grand merci tout de même au fan qui a eu l'inspiration géniale de venir avec son camescope !
Merci Kozlika de la réponse. Ben moi je vivais dans l'ignorance de cet enregistrement :( Ca passe sur quelle chaîne? Une chaîne cablée je suppose?
Bonjour, j'ai moi aussi eu la chance d'aller voir ce récital, et c'est aussi en grand fan que je m'y suis conduis !!! Passons sur la rhinopharyngite de la dame, mais c'était merveilleux !!! Même malade, et l'entendant en réel pour la première fois, je n'ai pas arreter d'avoir les yeux mouillés tellement c'était touchant et criant de réalisme !!! La dame n'a rien perdue du tout, au contraire elle s'est bonifié ! Même si c'est vrai qu'elle a loupé presque toutes ses attaques (du au rhume cela va sans dire) elle n'en reste pas moins impressionnante !! J'étais au 3e rang donc très proche et javais limpression qu'elle chantait dans mon oreille c'était géniale !!
J’ai un peu de mal à souscrire à la remarque formulée de la note 3. Pour avoir entendu Christine Schweitzer en récital très récemment, j’ai fait l’expérience d’un son immense et d’une voix qui porte à merveille. Tu as peut-être eu la sensation d’une petite voix à cause de son timbre assez sombre de soprano dramatique, couleur à laquelle nous ne sommes malheureusement plus trop habitués de nos jours.