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Mes petits cailloux

Parce que je préfère qu'ils soient lus dans l'ordre où ils ont été écrits, ces billets sont présentés dans l'ordre chronologique de leur rédaction, soit de 2006:46 Fille à 1960:00 Jésus et moi.

Après ce billet évoquant ma naissance, j'ai ensuite choisi de rebrousser chemin et c'est ainsi qu'après 1960:00 Jésus et moi j'ai poursuivi avec 00:1960 Garçon et que je remonte actuellement les années qui me mèneront de nouveau à aujourd'hui.

Fil des billets

jeudi 16 novembre 2006

1998:38 projection

Septembre 1998. Marion entre dans notre chambre le premier dimanche matin après la rentrée scolaire. « Maman, on est l'année prochaine et j'ai toujours envie de faire de la flûte. »

Hein ? Mais de quoi parle-t-elle ? Il me faut un moment pour reconnecter les synapses du souvenir : il y a quelques mois, vers le début de l'année scolaire précédente, elle avait fait part de son envie d'apprendre la musique. Moui, lui avais-je répondu, et dans trois semaines tu voudras faire du karaté, dans trois mois du théâtre. On verra l'année prochaine si tu en as toujours envie. Elle était repartie jouer dans sa chambre sans plus jamais en reparler et j'avais oublié. Mais pas elle. Impressionnée par sa pugnacité, j'entreprends avec ardeur les jours suivants de me renseigner auprès de l'école de musique de la commune tout en poursuivant mes discussions avec elle. A cette époque, je n'appréciais pas beaucoup la flûte (depuis, j'ai appris...) mais j'ai envie de sauter partout comme un cabri à l'idée qu'un de mes enfants est attiré par l'apprentissage d'un instrument. Mmm de la flûte traversière ? Dis, tu es sûre que c'est de cet instrument que tu veux apprendre à jouer ? Ben, j'ai hésité avec l'accordéon et la harpe, mais finalement non je préfère vraiment la flûte. Et euh... tu n'aimerais pas apprendre le violoncelle ? C'est bôôô le violoncelle, c'est mon instrument préféré. J'aimerais tellement savoir en jouer. La confiance qu'elle place en moi, le désir qu'elle a toujours de me plaire la font hésiter, elle soupèse, je vois bien qu'elle est très embêtée par cette suggestion et qu'elle s'apprête peut-être à accepter. Et je me collerais des baffes. Non non, c'est stupide ce que je viens de dire, je vais te trouver des cours de flûte, c'est promis. C'est très bien aussi la flûte et c'est pratique pour emporter en vacances.

Kozlimaman ou les pièges de la projection. Si le vernis est plus smart quand on parle du choix d'un instrument de musique ou d'orientation professionnelle, quelle différence au fond avec les enfants poussés à devenir la miss monde que maman aurait voulu devenir ou le gardien de but qui fit rêver papa, tous comportements parentaux qui font pousser des cris d'orfraie aux parents-zintelligents ?

Comment faire la juste place à la transmission des valeurs sans passer par la case de l'instinct reproducteur au sens le plus littéral ?

On peut aussi projeter l'autre. Quelques années auparavant, ma mère m'avait acheté pour mon anniversaire une montre à suspendre autour du cou. C'est moi qui avais manifesté l'envie d'en avoir une. Elle portait - elle porte encore, elle est là dans le tiroir du bureau depuis lequel je rédige ce billet - sur le couvercle une sculpture de tête de cheval. J'étais en train de me dire qu'elle avait dû avoir du mal à trouver ce type de montre et se résoudre à prendre un modèle aussi peu ressemblant à mes goûts, quand elle m'annonça toute fière qu'elle était siiiii contente d'avoir réussi à dégoter celle-ci, toi qui aimes tant les chevaux. Gni ? Je devais faire une mine passablement éberluée : Ah non ? Pourtant Fred [mon père] les adorait ![1] C'est une réaction un peu exagérée sans doute, mais j'avais vraiment envie de hurler : mais merdeuuuuuh, je suis MOI, moi tout court, pas une extension de mon père !

Et on projette aussi bien sûr, dans le rejet : tu ne peux pas être comme ça car je ne veux pas/j'ai peur de l'être est un excellent point de départ pour refuser à l'autre d'être ce qu'il est. Finalement bien peu différent de tu veux faire du violoncelle puisque c'est ce que j'aimerais, moi, faire/avoir fait.

(Post-rédaction : je vois là des bribes qui s'enchevêtrent entre mes trois-quatre derniers billets chronegologiques et celui-ci. On est toujours dans le droit à l'être-soi non ? ça serait-y pas comme un thème kozlikien récurrent ? je m'interpelloge.)

Notes

[1] Du même tonneau, j'ai l'honneur de vous apprendre que j'ai le don des langues (si si, yaka voir) ! (Je pense d'ailleurs que c'est de là que provient l'adage Si ce n'est toi, c'est donc ton père...)

vendredi 17 novembre 2006

1997:37 juive

Fin janvier 1997. Il fait déjà nuit quand je rentre à la maison et il fait froid. Mais hourra ! une lettre dans ma boîte, une vraie je veux dire, j'en reçois (trop) rarement. Je m'installe confortablement pour la lire.

Il n'y a pas d'adresse au dos de l'enveloppe mais on reconnaît tout de suite l'écriture d'une personne âgée. Ça ne peut être qu'elle et ça fait deux mois que j'attends un signe. Deux mois depuis que je lui ai parlé au téléphone. La lettre est courte, pas même le temps d'allumer la cigarette que j'ai glissée entre mes lèvres.

Je ne vous appelerai pas. C'est trop difficile malgré toutes ces années. En 1943 j'ai été atteinte d'une salpingite ; j'en suis restée stérile. Votre naissance a été pour moi une douleur, encore si vive que je ne puis vous rencontrer. J'espère que vous me pardonnerez. Si un jour je m'en sens capable je vous écrirai.

J'ai attendu d'abord pendant deux mois un appel téléphonique. J'attends maintenant depuis dix ans une lettre dont je sais qu'elle n'arrivera plus mais que je ne peux m'empêcher de guetter malgré tout. J'ai je crois le moyen de savoir où elle habite (si toutefois elle vit encore, ce qui devient de moins en moins probable compte tenu de l'âge qu'elle aurait...) ou du moins de lui faire transmettre un courrier via la caisse de reversion de la Vénérable Entreprise (puisque). Je devrais certainement a minima m'assurer de sa vie ou de sa mort. Je ne sais pas très bien pourquoi je ne le fais pas. Pour ne pas briser le lien ténu ? Pour ne pas savoir qu'elle est morte sans laisser à quiconque le soin de me faire parvenir un dernier signe ? C'est un peu confus et je renonce à y aller fouiller.

A l'existence doublement impardonnable d'enfant illégitime et d'enfant unique de mon père, s'ajoute que cette stérilité est survenue alors que mon père et elle vivaient sous de fausses identités, à ce moment hâtivement et encore mal fagotées, parce qu'ils pensaient que l'étoile jaune leur irait mal au teint. Ma mère m'en avait parlé depuis longtemps, cette lettre m'en fit mesurer plus encore le poids. Mon père aurait-il accepté la grossesse de ma mère s'il avait eu des enfants avec sa femme ? Si oui, et s'ils avaient eu des enfants auparavant, aurais-je connu les pleurs de Samantdi ou les bras (semble-t-il) ouverts de la famille Mitterrand pour Mazarine ?

Il arrive qu'on me demande pourquoi malgré mon agnosticisme (ou athéisme, ça dépend des jours...) je me sens parfois juive. L'une des raisons se trouve ici : je suis juive par la femme de mon père (et névrosée par autogenèse ;).

samedi 18 novembre 2006

1996:36 chacun sa mort

Je ne savais pas encore à quel point les images télévisées des obsèques de François Mitterrand, décédé en janvier, allaient me poursuivre longtemps. Le luxueux cercueil, les obsèques solennelles, Mazarine Pingeot aux côtés de ses frères, la main de Danièle Mitterrand venant se poser sur son épaule, tout cela j'y repenserai dans quelques mois en me rendant solitaire au carré juif du cimetière de Bagneux après avoir appris la mort de mon père et appris où il était enterré.

Je suis éperdue et morte de rire à la fois. Pas de doute, je tourne en caméra cachée le remake de Le Bon la Brute et le Truand. Je parcours le carré en essayant de lire chaque inscription sur les tombes les plus fraîches, en vain, puis les plus anciennes (caveau familial ?). La tête me tourne, je ne sais plus quelles allées j'ai faites et celles qui restent à faire. Je me tance : il faut être plus méthodique, Anne, tu n'arriveras à rien comme ça. Il pleut, ça tombe bien mes sanglots et mes rires sont secs, encore une histoire de vases communiquants que mon père aurait transformée en problème à résoudre sur une feuille de mon cahier de brouillon, comme avant, comme quand je ne savais pas que les papas mentent aussi et qu'un jour il faut creuser les sillons d'un cimetière sous la pluie, sans même le poncho de Clint Eastwood, parce qu'il ne m'a pas donné la carte de la planque des 200 000 dollars. Je suis Blondin et je connais le nom. Je finirai par me résoudre à demander à l'accueil, qui me fournira les indications nécessaires, merci Tuco, et m'informera que la pierre est commandée mais pas encore livrée. Ah ben voilà pourquoi je ne trouvais pas aussi !

Devant le tas de terre, je me dis que Marcel aurait adoré cette histoire, lui qui était parti il y a quelques mois aussi en cette année 1996.

Je l'entends encore nous raconter son dialogue avec le gars des pompes funèbres où il s'était rendu pour préparer sa crémation.

« Vous avez des cercueils en carton recyclable ?
– Vous plaisantez, monsieur, bien sûr que non !
– C'est quand même un peu idiot de gâcher du bois pour le faire brûler, vous n'avez vraiment rien dans le genre pas cher et sans aller couper des arbres ? Mon fils est compagnon charpentier, on respecte le bois dans la famille. Au moins, vous avez un bois bas de gamme qui brûle vite ?
– Vous avez un drôle d'humour, monsieur Allemann ! On ne plaisante pas avec les crémations !
– Oh vous savez, quatorze mois à Dachau ça apprend à plaisanter avec tout, même avec les crémations, surtout avec les crémations. »

Le type était outré jusqu'à ce que Marcel lui montre son tatouage, et le Marcel s'amusait comme un fou, oubliant pour quelque temps le cancer qui était en train de le bouffer. Marcel, Marcel, pourquoi t'es pas là avec ta barbe blanche et tes yeux bleus pétillants pour me dire que tout ça c'est des conneries, qu'on se fout d'où sont les morts et qu'il faut s'occuper des vivants ?

Je me sentirais quant à moi incapable d'aller faire une telle démarche, que pourtant j'admire, incapable plus largement de préparer ma mort. De lui dire oui. Je ne serai jamais prête. L'idée du suicide ne m'a jamais effleurée non plus, elle est hors du champ du possible, quelles que soient les circonstances. Il me semble tout aussi inconcevable de souhaiter un jour pouvoir recourir à l'euthanasie.

Bien sûr je dis ça ici et maintenant, valide et sans épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nul ne peut prédire ce qu'il choisirait sous la torture, et l'invalidité ou la maladie à son dernier stade en sont une. Si ce choix me semble à mille lieues de moi (mais qui sait un jour ?), il me semble évident qu'il fait partie de l'ensemble des libertés de choisir et devrait être défendu au même titre que les autres.

dimanche 19 novembre 2006

1995:35 le mépris

Avril 1995. Bernard Desportes m'apporte quelques exemplaires du premier numéro de Ralentir travaux[1], la revue littéraire qu'il vient de lancer et pour laquelle j'ai réalisé la maquette[2] et continuerai d'en assurer la mise en page et la relecture au long des cinq années de l'aventure. Bernard est un ami rencontré lorsque j'étais lycéenne (et lui déjà si vieux, pratiquement trente ans, c'est dire). Nous nous sommes retrouvés l'année dernière sur le même lieu de travail et de fil en aiguille il m'a proposé de participer à son projet. J'ai adoré m'occuper de cette revue, de servir de si beaux textes, les choyer, leur offrir ce que je savais faire comme ils m'offraient le plaisir de les lire.

J'ai passé des journées entières chez les fournisseurs de papier pour trouver LE vergé idéal, la teinte et la texture de la couverture les plus belles. J'ai passé des heures à peaufiner la titraille, à créer un logo, à ajuster les règles de césure, à retravailler les échelles horizontales et les approches de paire de la police de caractères qui était la presque-mais-pas-tout-à-fait idéale. Nous avons aussi cherché et trouvé un excellent flasheur et imprimeur. Tenir entre mes mains ce premier numéro me rend fière comme un petit banc, pour un peu je dormirais avec. Plus tard, nous y associerons un site, premier exercice du genre pour moi (et dernier jusqu'à ce blog), qui me laisse passablement frustrée de ne savoir/pouvoir mieux faire. Mon truc c'est nettement le papier.[3]

A l'occasion de lectures publiques et surtout du Marché de la Poésie où nous tenons stand, j'ai l'occasion de rencontrer les auteurs de ces textes. Et très rapidement je peux les classer en deux catégories : ceux qui me « voient » et ceux pour lesquels je suis transparente. Je ne suis pas de leur monde, je suis un sous-fiffre, une exécutante. Certains ne me tendent pas même la main lorsque Bernard me présente et se contentent du petit signe de tête qu'on octroie aux loufiats. Transparence à géométrie évolutive : au fur et à mesure que la revue gagne en reconnaissance, la loufiate peut servir à se rapprocher de l'Olympe. Ceux qui passaient sans me voir lorsque j'étais seule au stand s'arrêtent, me saluent cordialement. A tout prendre j'aime autant ceux qui continuent de m'ignorer royalement et ne me reconnaissent même pas lorsque je les croise dans les allées du marché. Le principe s'étend jusqu'aux lecteurs arrivant tout sourires dehors et dont la mine s'affaisse lorsqu'ils apprennent ne s'adresser qu'à la maquettiste.

Ce type de comportement n'est hélas ni réservé à ma personne ni propre au milieu littéraire. La frontière des créatifs et des exécutants est particulièrement marquée dans les métiers de la pub ou du graphisme. Elle se retrouve également en entreprise entre décideurs et petites mains (ah, le passage de simple poussiéreuse[4] à administratrice de Vénérable Entreprise)... ou webstar et petit blogueur. Enfin je redécouvre l'eau tiède là hein, je le sais bien. Ce que je veux dire c'est que j'ai tiré de cette expérience et ses similaires quelques principes salvateurs : la magie se conserve mieux vue de loin (raison pour laquelle il m'est par exemple parfaitement indifférent de rencontrer telle ou telle diva) ; ne pas confondre la reconnaissance d'un rôle social/de pouvoir – ou renommée bloguienne – avec un intérêt réel pour l'individu... ne pas pour autant tomber dans la mégalomanie ou la paranoïa : il y a aussi des tas de gens qui n'en tiennent aucun compte ni dans un sens ni dans l'autre !

Notes

[1] Titre hommage à l'ouvrage du même nom de Breton, Char et Eluard.

[2] Scan couv à venir, pas le temps aujourd'hui.

[3] Encore aujourd'hui, bien que toutes les études portant sur l'ergonomie web recommandent la présentation des textes en drapeau car de lecture plus aisée sur écran, je ne peux m'empêcher d'affecter au corps des billets de tous mes thèmes un text-align:justify; ;)

[4] Surnom donné aux correcteurs par les typographes...

lundi 20 novembre 2006

1994:34 en terre étrangère

Juillet 1994. La sœur de mon compagnon, femme de notable normand en villégiature estivale, m'invite au festival d'Aix-en-Provence pour assister à ma première représentation d'opéra. Tout m'impressionne. La suave douceur du soir, le charme des rues étroites bordées de bâtiments discrètement bourgeois, les terrasses des restaurants juste avant le spectacle garnies de dames fort bien (dé)vêtues et d'hommes très élégants, l'Archevêché et sa première cour intérieure où bruissent les conversations et les robes du soir, les parfums capiteux, la cour intérieure enfin, où se déroulera le spectale à ciel ouvert, plafond garni d'étoiles. C'est La Flûte enchantée. Les décors sont superbes, la musique enchanteresse, les chanteurs extraordinaires [1]. La cantatrice qui tient le rôle de la Reine de la Nuit est visiblement enceinte. Elle s'appelle Natalie Dessay.

Une soirée hors du temps, qui ne m'a pourtant pas poussée à me ruer sur les opéras parisiens. Pourquoi ? Parce que tout cela ne pouvait m'être que d'accès exceptionnel, rustresse provinciale invitée au mariage du prince et de la princesse. L'opéra c'était des robes du soir et des coupes de champagne à gogo, des oreilles élevées à la Grande Musique, des spectateurs distingués qui connaissent les prénoms de tous les chefs d'orchestre. Qui sont capables de resituer chaque œuvre dans leur contexte historique et musicologique. L'opéra est réservé aux riches ou aux spécialistes. L'opéra n'est pas pour les nuls.

Ce qui m'a fait y retourner enfin c'est une proposition du comité d'entreprise de mon lieu de travail pour des abonnements. On s'adressait donc bien à nous autres, les musicalo-incultes, en spectateurs potentiels.

Dans ma famille, la culture c'est, laaargement au-dessus de tout : les livres. Loin loin derrière, les arts plastiques (et les livres sur les arts plastiques) et plus loin encore, mais vraiment très loin alors, la musique. J'ai découvert, comme beaucoup, la musique symphonique au collège, avec Dvorak et La Symphonie du Nouveau Monde, les concertos pour piano avec L'Empereur de Beethoven. Et voilà. D'opéra point. D'ailleurs on changeait de chaîne dès l'apparition d'un orchestre, alors une cantatrice, je ne vous dis pas. Sauf bien sûr « Le Grand Echiquier », Jacques Chancel étant agréé culture par la familiae lex. C'est ainsi que j'avais été émerveillée par l'Ave Maria sarde interprété par Maria Carta, qui resta longtemps pour moi le summum du chant sacré[2].

Le problème de la faible fréquentation des concerts ou des opéras n'est pas, je pense, une question de tarifs : les concerts classiques ne sont pas plus chers que les autres, beaucoup s'en faut : je rappelle qu'on peut aller à l'opéra pour 5, 9 ou 20 euros, que les concerts de la cité de la Musique sont fort peu chers et que presque toutes les salles offrent des prix attractifs aux jeunes et/ou aux chômeurs. L'Italie, le Royaume-Uni, la Hollande, l'Allemagne ont un public de « classique » bien plus hétérogène que le nôtre. Je ne suis pas sociologue mais intuitivement il me semble que cette musique est plus marquée socialement et intellectuellement comme réservée au dessus du panier chez nous.

Si je cherche à entraîner le plus grand nombre à l'opéra parmi mes amis blogueurs, ce n'est pas seulement par désir de créer des interlocuteurs supplémentaires pour nous extasier (de concert, ha ha), ni seulement parce que je trouve ça trop dommage de passer à côté. C'est également parce que je sais qu'on a souvent besoin d'un passeur pour entrer dans un monde où l'on se sent étranger.

Notes

[1] Non, je n'embellis pas mes souvenirs !

[2] D'ailleurs si quelqu'un avait un mp3 sous la main...

mardi 21 novembre 2006

1992:32 - 1993:33 bodyguard

Eté 1992. Ce soir nous partons en vacances. Mon compagnon travaille depuis un an dans un journal du matin, ce qui signifie qu'il part de la maison vers 15 heures et ne revient qu'au milieu de la nuit. Nous partirons tout à l'heure à la fin de son service. Pour que nous n'ayions plus qu'à monter dans la voiture à l'heure du départ, je décide l'aller porter les valises dans la voiture qui est garée sur le parking à l'arrière du bâtiment.

Je connais mes deux lascars, surtout la petite, vingt mois et quatre ans, mieux vaut anticiper toute bêtise en mon absence, même brève. Je coupe le gaz et l'eau (l'inondation une fois par an c'est bien assez et comme ça ça sera fait), je ferme les fenêtres de leurs chambres où ils sont occupés à jouer pour qu'ils ne balancent pas leurs jouets sur les passants, je ferme les toilettes de l'extérieur avec un tournevis, je bloque le verrou de la porte palière pour qu'ils ne puissent s'enfermer. Je les chapitre : pas de bagarre, pas d'initiative inventive, je reviens très vite. Ils opinent sagement du bonnet. Le petit voisin du rez-de-chausée, huit ans, relève à peine la tête : il est fort occupé avec l'impressionnante collection de modèles réduits de Meusa. Nickel. Descendre les trois étages direction la voiture, où je charge les bagages. En rebroussant chemin, je lève machinalement les yeux vers la fenêtre de la cuisine.

Marion est installée à quatre pattes sur le rebord de la seule fenêtre que j'ai oublié de fermer, tout sourires. « Coucou Maman ! »

Pourquoi mais pourquoi n'ai-je pas pensé à cette fichue fenêtre et au lave-vaisselle idéalement disposé pour servir de marchepied dessous ? Et que faire maintenant ? Elle fait mine de ne pas entendre mon ordre impérieux de retourner immédiatement à l'intérieur si tu ne veux pas une fessée dont tu te souviendras et se penche pour suivre ma progression vers - et bientôt sous - l'immeuble. Je suis glacée et hésite entre avancer et prendre le risque qu'elle continue de se pencher ou continuer à lui parler jusqu'à ce qu'elle se lasse et quitte son point d'observation.

La petite voix de Meusa balaie toute tergiversation : « Maman, dépêche-toi, je lui tiens la jambe, mais elle gigote ! »

Linford Christie et ses misérables 9,87 de la semaine dernière n'ont qu'à bien se tenir. Prenant mes jambes à mon adrénaline je fonce, grimpe quatre à quatre les escaliers. Chaque pas, le film d'une gamine se dégageant de la faible poigne d'un gamin de quatre ans et tombant, tombant, tombant, se déroule dans ma tête. Je récupère l'énergumène toujours sur son perchoir, la main de Meusa le Philosophe rivée à sa cheville. Sur le tapis du salon, le grand dadais du rez-de-chaussée est passé des voitures de course aux voitures de collection.

Deux mois plus tôt elle se plante au milieu d'une quatre-voies en passant à travers les grilles d'un square. Un mois avant, elle se jette dans le grand bain de la piscine municipale pendant que je suis encore dans les vestiaires. Trois mois plus tard elle avale du dilluant de blanc correcteur. Entre 1992 et 1993, je lui ai sauvé la vie un nombre incalculable de fois. Chaque sortie dans la rue est un pari fou : il faut la tenir par la main sans relâcher la pression une seule seconde. Il ne faut pas la laisser deux minutes seule dans aucune pièce, jamais. Ne s'approcher d'aucun muret donnant sur le vide. Je ne suis plus une maman, je suis son garde du corps. Elle ne brave pas le danger, elle ne le voit pas, elle a un appetit d'ogre de la vie et une folle confiance en son invulnérabilité.

Il y a un truc qui me révoltait avant d'avoir des enfants : les gamins en laisse. Dans l'état d'épuisement qui est le mien au bout d'un an et demi de ce régime, avec leur père dont les horaires ne permettent que le samedi de prendre le relais, je regrette que mes préjugés idéologiques m'interdisent l'usage du harnais, du solide parc. Les balades en poussette, la petite bien arrimée dans le siège, le grand sur le marchepied, sont un repos de l'âme.

Le grand frère a je crois gardé de cette époque l'idée d'une mobilisation générale exclusive autour de cette intruse qui a débarqué dans sa vie auparavant si tranquille. Il ne manque toutefois pas de lui rappeler en cas de conflit qu'il fut son unique sauveur en ce jour d'août 1992.

mercredi 22 novembre 2006

1991:31

15 septembre 1991. Du fond de mon lit j'entends le téléphone sonner et mon compagnon décrocher. On n'a pas idée de téléphoner un dimanche matin à 8 heures quand même... Ce doit être ma mère ;)

Ah non, j'entends « Bonjour Jim »[1], c'est donc le frère de mon compagnon qui se réveille trois jours après l'anniversaire de Meusa pour le lui souhaiter. Je souris intérieurement : dans cette famille ils sont incapables de se souvenir du moindre anniversaire, espérons que la semaine prochaine il se souvienne du premier de son fils, Louis, né trois mois avant Marion ! Ma «belle-sœur» Catherine et moi faisions déjà la paire avec nos gros bidons, ça va être une sacrée bande de cousins mon grand, ma petite et le moufflet. Cet été je les ai eus tous les trois pendant quinze jours, ça pulsait déjà pas mal !

Mais Jim n'appelait pas pour l'anniversaire. Il appelait pour dire qu'il n'y aurait pas de bande de cousins, qu'il n'y en avait plus depuis tout à l'heure parce que Louis était parti dans la nuit de mort subite du nourrisson.

Il m'a fallu plusieurs minutes pour réaliser, j'avais entendu les mots mais ils ne voulaient rien dire du tout. Et les photos à développer ne sont pas encore revenues de chez le photographe. Donc c'est pas possible. Il va rappeler il va dire qu'il s'est trompé, qu'il n'a pas déssoulé d'une fiesta beaucoup trop arrosée. C'est en voyant mes propres gosses jouer dans le salon, si... vivants, que j'ai enfin compris. Louis est mort.

Les semaines et les mois qui ont suivi, nous nous sommes souvent parlé au téléphone Catherine et moi puisqu'ils habitaient Marseille et que nous ne pouvions nous voir. Et puis un jour je lui ai dit que j'avais honte. Honte parce que mes pleurs étaient de chagrin mais aussi de soulagement : pas les miens, oh punaise, heureusement pas les miens. Elle m'a dit que c'était idiot d'en avoir honte bien sûr, qu'elle aurait eu les mêmes sentiments mêlés. Ça m'a soulagée d'avoir pu le lui dire.

Marion était un bébé facile, qui s'endormait quand on la couchait et se réveillait pour son premier biberon en souriant. C'est ce qu'elle a continué de faire... à part qu'à compter du décès de Louis elle s'est réveillée trois à quatre fois par nuit et se rendormait dès que nous allions la voir. Je suis aujourd'hui encore certaine qu'elle disait ainsi : Je suis là, papa, maman, tout va bien, vous pouvez vous rendormir tranquilles.

Notes

[1] Les prénoms sont changés.

jeudi 23 novembre 2006

1990:30 un chou, une rose

20 décembre 1990, 0h45. C'est une fille ! J'ai passé ma grossesse entière à m'endormir en n'importe quelles circonstances, dans n'importe quelle position et à n'importe quelle heure du jour. J'ai mis en place un attirail de ruses de Sioux pour convaincre Meusa que le meilleur endroit du monde c'est au lit avec Maman, sur le canapé avec Maman, dans une chaise longue avec Maman, et le reste avec Papa et les autres grandes personnes. La télé a été déplacée dans la chambre et je me livre sans scrupules aux plus éhontées des manœuvres : « Ooooooooooh, chouette alors, dis, Meusa, c'est l'heure de la Petite Maison dans la prairie, trooooobien ! » Et hop ! tous les deux sous la couette, en faisant attention de ne pas ronfler trop fort pour ne pas le déconcentrer de « La P'tite Marie de la maison », comme il disait, ou autres passionnants feuilletons ou émissions enfantines qui m'assuraient ma sieste pépère.

(Oh mandieumandieumandieu, elle fait regarder la télé à son fiston à peine sorti du moule, le pôôôôôvre ! L'instrument du Mal dans nos maisons, le malheureux enfant va devenir bête comme ses pieds, idôlatrer PPDA et refuser d'aller jouer dehors ! Mauvaise mère ! Putréfaction ! Che Guevara va se retourner dans sa tombe ! – Oh foutredieu, mais que c'est booooon de dormir !)

Je n'ai pas voulu connaître le sexe de mes enfants dès les échographies, j'aime bien les surprises et ne l'apprendre qu'à la naissance me semblait participer au déroulement complet du rituel tel que je l'imaginais depuis l'enfance. Et me voilà de retour à la maison pour le réveillon de Noël avec ce nouveau bébé (Et le bébé il va où, lui, maintenant que tu rentres ?, me demande Meusa en venant me chercher à la maternité). Une petite fille pour la plus grande satisfaction de tous. Surtout des autres. Nous voulions un deuxième enfant mais le sexe d'icelui nous importait bien moins qu'à notre entourage. C'est un phénomène assez curieux que la plupart des parents finalement s'en fichent tandis qu'autour d'eux (y compris ceux qui pourtant sont parents eux-mêmes) le souhait d'une diversité des sexes semble aller de soi.

(Lorsque mon amie Claire a accouché de son troisième garçon, quelqu'un lui demande, évidemment : « Ah, ben tu vas en faire un autre alors, pour avoir la fille ? » « Seulement si j'ai très envie d'un quatrième garçon », répondit ma copine-à-moi. Et toc.)

Pas d'enfant unique, c'était surtout ça qui nous importait, à l'un comme à l'autre. Et si le choix d'avoir des enfants ensemble s'était fait au terme de longs mois, années même, s'il avait fallu vaincre les réticences de mon compagnon pour notre premier, la décision de mettre en route le deuxième ne fut examinée que sous l'angle de l'écart (théoriquement) idéal entre eux. Mon compagnon était l'avant-dernier d'une fratrie de cinq, plus tribu que famille à bien des égards, et quoi qu'il en dise créant des souvenirs d'enfance heureux. Compte tenu de notre écart d'âge entre ma sœur et moi, qui en fit plus une deuxième petite mère qu'une frangine, je me sentais plutôt enfant unique et m'en désolais. D'autant que mes parents, fort désobéissants, avaient refusé de me fournir le grand frère un peu plus âgé que moi que je leur demandais.

Je ne sais pas ce qu'il adviendra des relations entre mes enfants lorsqu'ils seront adultes tous les deux. Leurs premières années et aujourd'hui encore pour une large part furent plutôt bagarreuses, franchement hostiles, même, à certaines périodes. Je commence à comprendre ma belle-mère qui se rend malade à chaque conflit entre ses enfants (50 à 65 ans et ça dure encore...). Ce doit être difficile pour des parents de constater que leurs enfants n'ont rien à se dire, rien à partager que des rancœurs ou de l'indifférence.

En revanche, en tout cas pour ce qui me concerne, avoir deux enfants m'a permis d'écarter le fantasme de la toute-puissance ou de la toute-culpabilité parentale : ils sont si terriblement différents qu'il faudrait être de bien mauvaise foi pour s'imaginer qu'ils ne se construisent pas aussi ailleurs que dans votre petite cellule familiale !

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